Les Grands

Façonner les âges.

Fanny de Chaillé, artiste associée à l’Espace Malraux Scène nationale de Chambéry, met en scène Les Grands qui interroge différentes étapes de la vie : l’enfance, l’adolescence et l’âge adulte. Ces strates sont habilement déployées et donnent à voir grandir des personnes durant le temps de la représentation.

Sur le plateau, trois trios composés d’un adulte, d’un adolescent et d’un enfant interprètent un même rôle, chacun pris dans leur âge respectif. Ces trois présences, que l’on pourrait imbriquer comme des poupées russes, se complètent au fil du temps comme pour tendre vers un seul être en reflétant ce qui le compose.

Dans ce mille-feuille des âges, c’est par l’enfance que nous entrons dans Les Grands. L’enfant ne parle pas, il se raconte par le biais d’une voix enregistrée comme si nous étions plongés dans ses pensées ou ses réflexions silencieuses. Ce que chacun des « petits » peut raconter est livré à l’état brut, dans une forme de naïveté propre à leur jeune âge. Ils évoquent tour à tour, les prémices de leurs rapports amoureux dans la cour d’école ou le fait de ne pas comprendre pourquoi on peut se faire punir lorsque l’on a fait une bêtise par exemple.

Cette enfance glisse vers le côté adulte quand les deux générations évoluent de manière similaire sur scène. C’est ici l’expression corporelle qui complète subtilement la matière textuelle dans la mise en espace qui est proposée. Entre ces deux âges, l’adolescence exprime une forme de crise, un passage où l’on a des choses à dire et des revendications à faire. Cet état s’opposerait presque à l’adulte qui tourne en boucle comme un disque.

Les Grands © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon.

Les âges sont concrètement représentés sans que l’on perçoive dans ceux-ci une notion d’ascendance ou d’affiliation, ce n’est pas la mère qui parle à sa fille mais la mère qui est elle-même la fille. Le traitement des rôles est donc abordé de manière horizontale.

Le texte a été écrit par Pierre Alferi qui a déjà collaboré avec Fanny de Chaillé sur Coloc en 2012 ou Répète en 2014. Les acteurs se sont emparés de ce matériau en proposant eux-mêmes des « ajouts » qui ancrent le spectacle à un autre endroit de jeu où le fictionnel croise le réel. C’est le cas par exemple d’une séquence de rébellion des adolescents qui pointent du doigt l’image galvaudée qu’on les adultes sur eux. Ce temps est réellement arrivé pendant la création et a été intégré faisant sens dans une démarche d’écriture de plateau et de recherche de ce que chacun peut projeter de son identité.

L’espace scénique, qui peut faire penser à un escalier ou à une montagne, renforce cette idée de stratification de l’être dont les différentes couches se superposent, se composent et se recomposent au fil des années. Que garde-t-on de notre enfance et de notre adolescence ? De quelle manière nous nous construisons ou comment aller puiser dans nos propres souvenirs comme pour mieux se comprendre ou se rappeler qui l’on est ? Toutes ces questions peuvent être soulevées par le biais de Les Grands qui nous transporte dans notre propre intimité.

Photographie à la Une © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon.

Kristina D'Agostin

Rédactrice en chef de Carnet d'Art • Journaliste culturelle • Pour m'écrire : contact@carnetdart.com

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