Bestie di Scena

Retour à un état sauvage.

Déjà remarquée par le public lors de sa venue en 2014 au Festival d’Avignon avec Le Sorelle Macaluso, la metteure en scène italienne Emma Dante fait une proposition toute autre dans Bestie di Scena. Dans un dépouillement total, les corps nus retournent à un état sauvage comme pour recommencer à raisonner sans que l’espoir ne soit pour autant à leur portée.

Avec ces « bêtes de scène », Emma Dante se lance dans une étude anthropologique de l’être radicale et troublante. Pas de décors, pas de texte mais des corps et seulement des corps dont la nudité est exposée. Les interprètes sont déjà en jeu pendant que le public arrive dans la salle, ils sont en train de s’échauffer dans une gestuelle commune menée par l’un d’entre eux placé au centre du cercle qu’ils forment. Petit à petit, ils se resserrent formant un triangle qui dans sa symbolique peut faire appel à une matrice dont les corps vont renaitre.

Ces corps vont alors se présenter un à un ou par petits groupes devant le public pour se déshabiller, ôter tout ce qui les rattachent matériellement à une conscientisation de l’être. Cette nudité des corps rappelle le travail de Jan Fabre, régulièrement controversé et déchainant les réactions. Bestie di Scena s’inscrit toutefois dans une veine parallèle où il est une forme de pudeur, d’innocence voire de gêne dans le fait d’être ainsi exposé à la vue des autres.

Bestie di Scena © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon.

Peu à peu des éléments extérieurs viennent perturber cette communauté primitive qui évolue dans un endroit, celui de la scène, à la fois dangereux et curieux. C’est un bidon rempli d’eau accroché à une chaine métallique qui leur est d’abord jeté. Tous vont s’aligner, boire les uns après les autres et recracher le liquide en étant pris de tremblements, de convulsions, comme s’ils venaient d’être mis au monde, qu’ils respiraient pour la première fois.

Étant remontés aux origines, ces femmes et ces hommes vont s’approprier et chercher que faire de ballons, d’un fleuret, d’une poupée, de boites à musique ou encore de balais. Dans ce travail, on sent des influences de Pina Bausch notamment dans l’accumulation des danseurs sur scène et dans ces temps de « ronde » où les interprètes sont dans un mimétisme ainsi que dans la transition et la rupture vers un autre tableau. Des pétards leur ont été lancés depuis les coulisses, faisant comprendre au groupe qu’ils sont pris au piège dans une arène. Alors, tour à tour, ils jouent, s’affrontent, s’aiment ou se détestent en acquérant les sentiments et émotions instinctives inhérentes à l’être humain tout en étant proches de l’animalité. Ce côté primate se révèle par un lancement de cacahuètes à la communauté qui dans une interprétation au plus juste tend vers un retour aux corps sauvages.

Avec la seule nudité des corps et la simplicité des actes proposés, Emma Dante arrive à créer des images très picturales et qui peuvent faire écho à des artistes de la Renaissance italienne, comme, par exemple, Luca Signorelli (peintre italien toscan de l’école florentine) et sa fresque La Résurrection de la Chair, visible à la cathédrale d’Orvieto. Durant un peu plus d’une heure, la communauté a développé une forme de solidarité et lorsque des vêtements leur sont redonnés, les « bêtes » ne s’en emparent pas, ils ont fait un choix, acte de désobéissance ou de renoncement ?

Bestie di Scena livre une émotion sincère et portée dans l’urgence d’une expérience troublante.

Photographie à la Une © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon.

Kristina D'Agostin

Rédactrice en chef de Carnet d'Art • Journaliste culturelle • Pour m'écrire : contact@carnetdart.com

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