Aminata Aidara

La déterminée.

Anthropologue de formation, journaliste,  traductrice et avant tout auteure, elle est de ces femmes qui racontent des histoires dans lesquelles on se laisse emporter. En perpétuel mouvement, elle cherche à transmettre des idées qui lui tiennent à cœur tout en donnant au lecteur une liberté d’interprétation dont il peut s’emparer au fil des pages.

Lors de votre formation en anthropologie, quels ont été vos axes et sujets de recherche ?

Pour mon mémoire de licence, j’ai choisi de faire une recherche sur l’interprétation de l’infécondité chez la femme au Sénégal en me dirigeant vers une anthropologie qui avait entre autres à voir avec le genre et avec la spiritualité. J’ai fait ce travail sur place, en me rendant à Dakar où j’ai mené une ethnographie. Mon parcours a beaucoup influencé mon orientation vers des études de sujets postcoloniaux notamment à travers un homme que l’on retrouve dans mon premier roman, Frantz Fanon : un ethnopsychiatre martiniquais, militant contre la colonisation, le racisme et pour la libération et affirmation des populations opprimées.

Peu à peu, je me suis rendue compte que les interprétations des évènements historiques de nos sociétés par les écrivains et l’anthropologie vue à travers le prisme littéraire m’intéressaient. Plusieurs auteurs comme Cheikh Hamidou Kane, Fatou Diome ou encore Calixthe Beyala ont nourri mes recherches en master. Puis j’ai fini mon doctorat en axant cette fois mon travail sur la littérature dite de l’immigration et en cherchant à comprendre comment les jeunes issus de l’immigration pouvaient voir le monde à travers leurs textes. J’ai finalement un double cursus en sciences psychologiques, anthropologiques et de l’éducation accompagnant des études littéraires.

Vous êtes née en Italie, d’une mère italienne et d’un père sénégalais, mais vous avez choisi d’écrire votre premier roman en français. Pouvez-vous nous expliquer quel a été votre cheminement ?

Au début, en 2014-2015, j’ai écrit ce roman en italien car j’avais envie de m’exprimer dans ma langue maternelle. J’étais encore dans une dynamique où elle était ma langue de cœur, la seule avec laquelle je pouvais écrire des poésies. Dans un autre temps, j’ai fait parvenir un recueil de nouvelles en italien à mon éditeur de la collection Continents Noirs de Gallimard. Ayant beaucoup aimé ce recueil, il m’a demandé si je n’avais pas un roman en français. C’est alors que j’ai transcrit et retravaillé la version italienne qui, aujourd’hui, n’existe plus. Elle était un peu comme un brouillon car la traduction m’a fait prendre conscience de toutes les failles, de toutes les nuances linguistiques, de tout ce qui pouvait être amélioré. Ce fut un long cheminement que d’arriver à assumer d’écrire directement en français comme je suis en train de le faire pour mon deuxième roman. Cela fait huit ans que je vis en France mais quand on arrive dans un nouveau pays, cela met du temps pour se dire que maintenant on va penser et rêver dans une autre langue.

Aminata Aidara © Hélène Rozenberg.

Quelles questions soulèvent votre roman Je suis quelqu’un ?

En tant qu’auteure, écrire est comme un exutoire où je peux me vider de mes obsessions, de mes cauchemars et de mes rêves ; c’est un endroit de liberté. Avec Je suis quelqu’un, j’avais envie de soulever des problématiques de notre société à travers des personnages comme, par exemple, l’héritage historique que l’on incarne sans être dans une philosophie déterministe, mais en montrant de quelle manière on se construit en lutte entre ce qui nous est imposé et ce que nous avons envie d’être. Savoir où se placer pour arriver à faire ce que l’on veut est une ligne où la prise de liberté est très subtile. C’est une question que je me suis toujours posée car par exemple, le fait de changer de pays a été, dans mon cas, déterminé par la crise économique en Italie. Les choix que je suis en train de faire maintenant ont sûrement été conditionnés par ceux que j’ai pu faire précédemment… tout n’est donc pas complètement libre.

À ce jour, peu de lecteurs ont soulevé des questions sur le genre ou sur la gestion de la relation sentimentale sans cristalliser cette dernière dans le déséquilibre qu’elle manifeste. Pourtant je pense avoir écrit un roman féministe car Penda, l’un des personnages, est une femme qui a pris sa vie en main, qui a renoncé à ses privilèges sociaux ; elle a fait des choix qu’elle pourrait regretter mais elle s’engage à les assumer en se disant qu’elle a agi pour son bien et celui de ses filles.

Dans les avis que l’on peut me donner, les problématiques identitaires sont régulièrement abordées. Je suis très consciente que ce roman parlant d’une famille sénégalaise qui immigre en France provoque des questions liées à l’actualité. Mais pour moi, le roman s’intègre dans quelque chose de plus vaste : une histoire d’amour, de filiation, de sororité, de trahison et de secret.

Vous évoquez le secret et sans révéler celui de votre roman, que pensez-vous de l’impact que peuvent avoir les non-dits dans les familles ?

La problématique de la construction personnelle quand il y a des secrets dans les familles est universelle. J’ai voulu montrer que les origines de chacun ne sont pas un barrage dans les relations. Consciemment j’ai créé des communications polyphoniques qui sont décalées. Je voulais pousser à bout le flux de conscience et le fait d’assumer ce que l’on pense sans être interrompu par un interlocuteur qui nous poserait une question. De là, petit à petit, le non-dit se dévoile et le secret s’allège dans la psychologie. J’ai essayé de montrer la manière dont on pouvait se dire à l’autre.

Durant le printemps 2019, vous avez été accueillie en résidence d’écriture par la Fondation Facim. Qu’a représenté ce temps pour vous ?

Lors de ma résidence, j’ai pu conduire des ateliers d’écriture en lycée. J’ai notamment travaillé avec des élèves de seconde autour de L’attrape-cœurs de Salinger ; c’est un de mes livres favoris. Après avoir contextualisé le roman et l’auteur, les jeunes ont réécrit des passages qui leur semblaient intéressants dans une version « Savoie 2019 ». Puis, avec une comédienne et metteure en scène, Salomé Blechmans, nous avons travaillé sur l’incarnation des textes, les élèves sont devenus acteurs. Dans ces mois, j’ai également présenté mon roman, parlé de littérature et évoqué mon approche du bilinguisme dans d’autres établissements scolaires. J’ai aussi animé un séminaire à l’Université Savoie Mont Blanc sur le concept de tiers espace, l’espace de la littérature entre les cultures comme lien, comme ciment des possibles. D’autres rencontres ont été organisées dans des bibliothèques et dans des librairies. J’étais habituée à parler en public par mon travail de journaliste mais ces temps avec les lecteurs ont, pour moi, été un apprentissage et m’ont enrichie de points de vue que je n’avais pas considérés sur le roman.

Par ailleurs, j’ai aussi pu travailler sur la suite de Je suis quelqu’un car ce roman est envisagé comme une trilogie. J’ai dans l’idée de développer des personnages de l’arbre généalogique qui figure au début du livre mais aussi d’autres qui apparaissent dans l’histoire.

Aminata Aidara © Salomé Blechmans.

Vous êtes une femme à la croisée de plusieurs cultures. Comment définiriez-vous votre l’identité ?

Pour moi, l’identité est toujours en évolution, elle peut changer. En ce moment, je pense que j’ai une identité plutôt afropéenne dans le sens où je côtoie depuis toujours pas mal de personnes issues de la diaspora africaine que ce soit de Somalie, du Sénégal ou encore du Mali. J’ai des amis qui viennent d’autres pays et à travers eux j’ai pu m’approcher de réalités que je n’ai pas connues directement comme l’univers musical, culinaire, etc. sans compter l’impact, dans ma vie personnelle, de mon travail en tant que journaliste à Africultures, pont magnifique vers les cultures africaines et afrodiasporiques. Je pense aussi que notre génération est amenée à avoir un sentiment d’appartenance de plus en plus fort à l’Europe.

L’identité, qu’elle soit culturelle, de genre ou sexuelle ne doit pas être quelque chose d’essentiel que l’on met toujours en avant. Elle est importante mais elle ne peut pas devenir le centre de tout car elle serait alors le prisme à travers lequel on regarde chaque chose et je trouve que cela peut enlever des nuances, peut fermer des portes.

C’est à travers le mouvement, qu’il soit spirituel ou physique, que l’on reste vivant. Je vois la notion d’identité comme quelque chose de figé et de statique. C’est pour cela que je pense que mon identité est changeante, elle est à conjuguer, elle doit bouger. Si elle ne bouge pas, très vite, on est stigmatisé et on stigmatise les autres. L’être humain a tendance, pour survivre, à classifier les choses pour pouvoir s’orienter. C’est un processus qui appartient à toutes les communautés. Les gens qui se posent le moins de questions restent dans l’ignorance. En Italie, les personnes qui ne sont pas italiennes et qui ne sont pas blanches peuvent être très vite réduites à des schémas élémentaires et des clichés, sans possibilité d’en sortir. C’est important de se dire que l’autre est ce qu’il décide d’être quand il le décide, ce n’est pas à nous de décider pour lui.

Quels sont les combats ou les causes qui vous tiennent à cœur ?

Une des thématiques de mon prochain roman sera l’enfance. Il sera également question d’endoctrinement, du fait que des enfants soient conditionnés dès le début de leurs vies à penser d’une certaine façon. Pour moi, il est essentiel de ne jamais oublier que l’enfant sera un homme ou une femme et que c’est à partir de là que tout se crée. Il faut prendre soin de ce temps qu’est l’enfance et améliorer les conditions dans lesquelles les enfants vivent.

Je pense aussi qu’il faut aller à l’encontre de toute stigmatisation, racisme ou misogynie. Il faut donner de la place aux minorités dans l’espace public pour s’exprimer. À travers la littérature, j’essaye de penser avant tout aux histoires que j’ai pu voir ou vivre et de leur donner chair. Si ces histoires amènent des idées, des propos, tant mieux mais je ne veux pas être guidée par des principes où j’utiliserais un personnage qui véhicule ce que je pense personnellement. Je fais très attention à cela car je ne veux pas tomber dans ce piège. L’important est d’écrire en toute sincérité.

Photographie : Aminata Aidara © Salomé Blechmans.

Kristina D'Agostin

Rédactrice en chef de Carnet d'Art • Journaliste culturelle • Pour m'écrire : contact@carnetdart.com

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