Christian Lutz

La censure et son double.

Cycle Caméra (auto)contrôle, « Conversation entre Marie-José Mondzain et Christian Lutz au sujet de l’interdiction du livre « In Jesus’ Name », Centre de la Photographie de Genève, 3 juin 2016.

Par son travail Lutz illustre aussi la fameuse affirmation de Georges Didi-Huberman : « L’image la plus simple n’est jamais une simple image ». D’autant que par ses reportages le Genevois ouvre non à la fiction du réel mais à la réalité de la fiction. Il montre les personnages avec une juste froideur, évite toute condescendance, approbation ou simplification. Son dispositif artistique possède même un caractère pédagogique. Il permet de toucher à un fond du visible des pouvoirs grâce à une économie sémantique et stylistique. Reprenant à son compte le concept de Gilles Deleuze de « déterritorialisation » l’artiste situe les pouvoirs ni hors jeu, ni hors d’eux-mêmes mais simplement face à leurs responsabilités de communicant. La causticité du off balaie les caractères fondamentaux de toute vision magique du monde. Elle donne des clés pour en illustrer les trucages et les chausse-trappes mais aussi la fragilité qui poussent certains d’entre eux à refuser d’accepter de se voir tels qu’ils sont.

Mal lui en prend parfois. Pour réaliser sa série In Jesus’ Name, Christian Lutz s’est immergé dans une communauté évangélique suisse, l’ICF (International Christian Fellowship) durant plus d’une année. Mais le livre a été interdit par voie de justice dès sa parution en 2012. Plusieurs personnes figurant dans l’ouvrage ont porté plainte au nom du droit à l’image. Christian Lutz a répondu en exposant ses photographies en les barrant d’X ou de rectangles noirs où sont reproduites les accusations des plaignants. Il ne s’agit pas seulement d’ironiser mais de déconstruire dans un dispositif de face à face ou tout se dit par les divers rapports que proposent les images dans leur montage biffées. Un radicalisme de l’évidence surgit face au radicalisme officiel des impérialismes religieux et judiciaires. Il démontre ainsi le postulat majeur selon lequel il n’existe pas de pouvoir sans mise en scène.

Image à la Une issue de la série In Jesus’Name, 2012 © Christian Lutz.

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