Christine Célarier

Celle qui voyage avec bagages.

Christine Célarier, « Fragments de sols ». Chez Littérature Mineure, Rouen, 2017.

Avec Fragments de sol et comme dans son œuvre plastique, Christine Célarier aime flirter avec divers types de perspectives. Elle devient maîtresse du monde naturel, souffre le chaud et le froid au fil des saisons qui ponctuent le livre selon un agenda annuel. Chaque mois impose une exploration particulière et des cérémonies secrètes en écartant des herbes sèches ou recouvrir de jeunes épis.

Par sa règle du jeu le livre se soumet à la méthode de la créatrice. L’artiste écrit parce que la nature vient. C’est une cavatine et le travail d’un regard microcosmique. Les mots trouvent une assisse naturelle. Il ne s’agit plus de pendre la pose mais d’entrer en lieu et entre-lieu loin de la médiocrité de l’à peu près. Or ici la triche n’est plus possible. Et si le saint lâche, le héros maintient, le poète ne saisit rien, amenée très bas l’artiste fait renaître le monde.

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Entretien avec l’artiste lyonnaise Christine Célarier.

Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?

Une vive curiosité, voire une impatience de vivre chaque matin un nouveau jour.

Que sont devenus vos rêves d’enfant ?

Certains se sont réalisés. D’autres se sont transformés. D’autres sont oubliés. D’autres sont à venir.

À quoi avez-vous renoncé ?

À pouvoir voyager sans aucun bagage !

D’où venez-vous ?

D’ici ou de là. Pas de lieu fixe originel important. Mais des lieux aimés, choisis qui font office de « d’où je viens ».

Qu’avez-vous reçu en dot ?

Une ligne, ne rien lâcher. Ou si vraiment c’est impossible trouver d’autres voies d’accès.

Un petit plaisir – quotidien ou non ?

Un plaisir très quotidien : pendant une poignée de secondes regarder dehors en se disant : « c’est bon d’être vivant ! ». Un plaisir presque quotidien : quand un travail, une série est en cours, le plaisir et la hâte de descendre à l’atelier chaque matin. Retrouver son atmosphère brouillonne et enveloppante. Puis le soir venu, boire, à 2 ou à plus, un verre de bon vin et échanger tout simplement. Un plaisir un peu moins quotidien : voyager pour chercher et trouver mes « nourritures » artistiques en musardant dans les musées, en déambulant dans les rues ou sur les chemins.

Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?

Rien et tout comme chacun d’entre nous.

Comment définiriez-vous votre approche du corps ?

Que ce soit l’approche du corps dans l’art mais aussi celle de son propre corps, voici quelques verbes entremêlés et sans ordre hiérarchique : l’observer… l’oublier… le scruter… le retrouver… le sculpter… le cacher…le montrer… le dessiner… le soigner… l’apprivoiser… le reconstruire… l’accepter…

Quelle est la première image qui vous interpella ?

Je ne sais pas si c’est la première image mais, grâce à cette question, celle qui me revient sans réfléchir est la suivante : l’illustration pleine page dans un livre de conte fée d’une maison-botte accueillante. J’avais 6 ans.

Et votre première lecture ?

Il y a eu pour moi plusieurs premières lectures (et il y en a encore !). Suivant les âges. Toutes aussi importantes les unes que les autres. De vraies premières fois répétées ! Ma première lecture d’enfance, les Sylvain Sylvette, mêlée de plaisir et d’effroi. Puis les Tintin, de façon répétitive et rassurante. Première lecture de « grande » au début de l’adolescence, La nausée de Sartre avec étonnement et fascination. Dans le même temps, Cocteau. Tout Cocteau.

Quelles musiques écoutez-vous ?

En ce moment : Waed Bouhassoun. Haendel avec la voix grave de contralto de Nathalie Stutzmann. Verlaine et Rimbaud chanté par Léo Férré, Patti Smith (écouté ou lu !). Rien d’incompatible dans ces choix. Suivre le rythme des ses humeurs et de ce que requiert comme sonorités le travail pour avancer.

Quel est le livre que vous aimez relire ? 

Je n’aime pas relire les livres que j’ai lus. Par contre j’aime reprendre un livre déjà lu pour piocher de mémoire au cœur de ses pages soit une image, soit une phrase, soit un passage, soit une pensée…etc. en phase avec ce qui occupe mon présent.

Quel film vous fait pleurer ?

Tous les films, bons ou médiocres (!) qui montrent l’inévitable déchirement des êtres ou leur éloignement irrémédiable les uns des autres. À titre d’exemple, l’un d’entre eux, Va vis et deviens de Radu Mihaileanu. Là, à coup sûr, je pleure !

Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?

Moi. J’ai beau chercher, rien que moi ! Et suivant les jours, désespérément,… joyeusement… rageusement… tranquillement !

À qui n’avez-vous jamais osé écrire ?

À Marguerite Duras, à Sylvia Plath…trop tard !

Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?

Venise… définitivement Venise. Mythe et réalité totalement mêlés pour moi. Être là-bas, revenir et toujours avoir ce désir fort d’y retourner. Vivre avec ce mythe incarné.

Quels sont les artistes et écrivains dont vous vous sentez le plus proche ?

Liste non exhaustive : Brancusi… Serra… J.Beuys… M.Merz… L.Bourgeois… G Penone… A.Messager… Sophie Calle… B.Viola… E.Hesse… Rothko… Vermeer…Bellini… Rebecca Horn… M..Kundera… Bachelard… M.Duras… P.Auster… M.Hanshofer… Ogawa… LeClezio… S.Hustvedt… W.Wenders… P.Handke… Chereau… Tarkovski… Kawabata… D.Lynch… Altman…P.Greenaway… G. Didi-Huberman… L. Nobécourt…et les autres…

Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?

Une belle et grande surprise qui saurait tomber pile poil avec un désir non formulé !

Que défendez-vous ?

Entre autre cette idée : « Tout sauf le cynisme ». Il est infécond, méchant, inutile, vain…

Que vous inspire la phrase de Lacan : « L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas »?

Pirouette lacanienne. Je préfère la phrase plus poétique et finalement plus mystérieuse de Gainsbourg, « je t’aime moi non plus ». Faire avec et inventer.

Que pensez-vous de celle de W. Allen : « La réponse est oui mais quelle était la question ? »

Soit le signe d’une ouverture sans à priori, soit le signe d’une capacité à l’oubli plutôt réjouissante.

Quelle question ai-je oublié de vous poser ?

Celle que vous auriez à l’instant en tête !

Image à la Une © Christine Célarier.

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