Éclats, brides et débris

Eclats, brides et débris ©Yannick Bourdin

Boitel en déséquilibre ?

Enfin ! Enfin c’était hier !
La rédaction de Carnet d’Art a assisté à l’inauguration de la nouvelle salle de création de Bonlieu.
Un moment presque historique – lorsque l’on sait les politiques culturelles publiques de plus en plus désengagées – Annecy s’offre un des plus beaux outils de production et de diffusion du réseau des scènes nationales françaises.
Pour cette première soirée nous plongeons dans l’univers de Camille Boitel. Le circassien nous propose deux performances en une.

La première, variation autour de L’immédiat, est une conférence sur la jubilation. L’analyse de cette présentation est assez compliquée, disons qu’elle est pour Monsieur Boitel l’occasion de ridiculiser la forme même de conférence, tentant d’apporter questions, réponses et réflexions autour d’un thème qui n’est peut-être que prétexte.
Premier faux pas de l’artiste, la forme que prend cette présentation en vient à ridiculiser le principe même de la réflexion, l’amusement du protagoniste est juste mais n’est utilisé au service d’aucun parti pris de mise en scène – la forme pour la forme, l’absurde pour l’absurde, pourquoi pas, mais nous vivons en 2014 et ce genre d’audace est complètement dépassée depuis les années 70. Il n’y a aucun sens aujourd’hui à écrire des cadavres exquis ou à exposer dans un musée un urinoir autre que celui de Duchamp, d’autres l’ont fait avant, nous ne pouvons pas les oublier ou revenir dessus – Monsieur Boitel, je suis désolé, vous ne pouvez pas occulter une partie de l’histoire qui ne vous arrange pas au profit d’on ne sait quoi. Le spectacle est vivant et se doit de vivre dans son temps, en connaissance de l’histoire et en vision de l’avenir. Donc, l’absurde pour l’absurde, le beau pour le beau, le drôle pour le drôle, NON !, cela ne peut prendre de sens en 2014. Il faut prendre en compte l’époque et le lieu dans lesquels vous parlez et vous vous devez d’avoir conscience de la valeur sacrée de la scène. Vous avez le pouvoir de parler à une assemblée réunie pour vous écouter, quelque soit la forme technique dont vous usez il faut nous crier quelque chose doté d’un minimum de consistance. C’est justement à cause de propositions comme la vôtre, présentées dans un lieu comme celui-là que tout perd son sens. Vous ne pensez pas que notre époque a, au contraire, cruellement besoin de sens ?

Durant près d’une heure, l’artiste se retrouve derrière une table à animer une conférence avec un invité qui ne répondra jamais à ses questions et interpellations. Le débat – qui n’en est donc pas un – tourne vite à l’absurde, l’animateur devant combler le manque d’implication de cet invité à la spécialisation complètement ridicule. L’idée pourrait être créatrice d’un réel jeu et nous faire glisser vers un véritable univers ayant une forte identité mais rien n’y fait. Camille Boitel est vite prisonnier dans son propre jeu, on tourne en rond, il n’y a aucune évolution et le metteur en scène en vient même à devoir faire appel à des « gadgets » pour espérer ne pas s’embourber dans le marécage boueux qu’il a lui-même mis en place. Il envoi son acteur aux toilettes avec le micro, nous laissant profiter de charmants bruits, il boit du whisky (j’en aurais bien pris un ou deux verres à ce moment pour vivre un peu moins douloureusement cette proposition), se met nu et fait des blagues scato pour faire rire un public pris en otage (Oui oui il a osé amener une spectatrice sur la scène, la faire s’asseoir sur une chaise et… c’est tout).

Cette première partie est un calvaire, l’acteur / metteur en scène joue faux ou joue trop en débitant à la chaîne des réflexions pseudo politiques ou philosophiques qui n’en sont pas. On en vient même à se demander s’ils n’ont pas eu un problème technique du genre – le rideau de scène est bloqué et ne se lève pas – on s’échappe alors dans notre imaginaire en visualisant l’équipe de la Compagnie Si par hasard rigolant et improvisant un vieux texte appris au conservatoire pour combler l’heure et demi qui leur est offerte dans ce théâtre. Comme l’impression de voir une mauvaise exposition d’art contemporain.

La deuxième partie du spectacle, Musique définitive est trop simpliste pour être honnête. Ils placent devant le rideau – qui nous empêchait jusqu’à présent de profiter de la salle de création, nous cachant la vue – deux tréteaux sur lesquelles sont posés des verres en plastiques, des œufs et des bouts de tissus… Arrive ce qui doit arriver, Camille Boitel – encore et toujours en forme et assez orgueilleux pour se présenter à nous – accompagné d’un nouveau confrère s’amusent à déchirer le tissu, écraser les œufs et verres en plastique et…déchirer le rideau qui nous cachait la vue pour laisser place à un plateau rempli d’une vaisselle sans doute déniché en brocante. Évidemment les acteurs détruisent toute la vaisselle…la porcelaine et le verre ne résiste pas à la folie ambiante…

L’image est jolie, le son sans doute aussi…le sens est absent, la volonté de déséquilibre et de catastrophe de Camille Boitel bien présents.
Fixons nous une règle à présent, la scène n’est pas le dépotoir d’une auto thérapie.
Le point très intelligent de cette représentation est d’être dans la salle de création, ce qui empêche toute fuite du spectateur, ce dernier étant obligé de passer par la scène pour sortir.
Cher lecteur, si vous aimez le cirque, si vous aimez le théâtre, si vous aimez les surprises, si vous n’aimez pas que l’on se foute de vous. N’assistez pas à ce spectacle de Camille Boitel. D’ailleurs je me permets de vous dévoiler la fin : personne ne meurt.
Pour conclure, énorme déception face à cette farce qui ne mérite clairement pas l’ouverture de la nouvelle salle du nouveau théâtre de Bonlieu scène National.
J’ai mal. Mal pour le public qui a rit mais à très timidement applaudie… Pauvres acteurs, pauvre auteur, pauvre metteur en scène, pauvre théâtre contemporain.
Éclats, bride et débris. Tout est dit.

© photo : Yannick Bourdin

Antoine Guillot

Auteur / Metteur en scène / Comédien / La Compagnie Caravelle

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