Le soir, à l’heure où la nuit traverse la cour jusqu’aux troncs dénudés des arbres, le soir lorsque le ciel s’y enchaîne, ce ciel aussi noir que nu dans la première nuit, le soir, ton front se dresse sur la bougie :
« Dieu nous aidera ».
La lumière, je crois mais c’est sûr, dans la nuit, ouvre une porte sur ton visage et ta bouche baisant la croix de ce rouge charnel et cru.
Tu étais rouge, rouge divine, rouge comme le sang gonflant tes lèvres. Ce que nous devons offrir, ce que nous donnons pour rompre l’étendue est immense. Il y a entre tes mains un chapelet noir qui les porte vers l’ombre et ses cris. « Faites qu’elle devienne quelqu’un. ».
Ma mère est une Sainte, une Sainte dont les jambes se dressent sur des autels de cire. Et je l’ai vu plus d’une fois ce visage, son beau visage, plus d’une fois embrasser le Christ. Ma mère est une Sainte, une Sainte lorsque ses larmes remplissent ses joues, traversent sa bouche; une Sainte dont les ongles bleus se dressent comme des pics.
Il ne faut pas, nous ne devons rien, absolument rien sacrifier à la beauté.
Elle était là ; toute de ses jambes vêtue à s’élancer. Ma mère est une Sainte aux jambes de cire : ses bras de fer s’agitent dans le noir quand elle prie. Elle avait de grands cils bleus comme ses ongles tous baignés de larmes. Ils coulent sur ses joues. C’étaient de grands cils noirs, refaits de bleu qu’elle recourbait chaque fois, chaque fois qu’elle agrandissait sa bouche, de crayon rouge, de rouge à lèvres, de brillant rouge.
Il ne faut rien, nous ne devons pas, il ne faut surtout rien sacrifier à l’artifice.
Ses jambes, lorsqu’elles repartaient au soir, étaient infiniment jetées sous ses hanches. Ses pas embrassaient le sol, à mon dos, lentement retrouvaient le miroir. Ma mère est divine. C’est le sable noir qui glisse sous mes mains devant le soleil ébahi.
Feuillet illustré par une photographie originale de Chloé Dutreix – Eve.
