Extension du domaine de l’art.
Misungui sort des normes. Elle présente une approche décomplexée du sexe (à côté des Annie Sprinkle, Linda Lovelace ou autre Betty Page) mais développe une réflexion sur la sexualité et la place de la femme dans un monde où celle-ci comme son image restent faites par et pour les hommes. S’éloignant de la figuration fantasmée elle produit paradoxalement ce qui risque a priori de susciter pourtant la fantasmagorie : à savoir le nu et le portrait féminin. Ces deux thèmes occupent en effet l’essentiel d’une œuvre surprenante. Elle entretient une relation double avec l’image puisqu’elle représente du corps mais surtout sa métaphore en partant toujours d’une expérience vécue.
Pour ce faire, elle se met en scène lors de performances. Le message est clair et répond aux premières interrogations et à la lutte de l’artiste (même si elle refuse ce nom) : sortir le corps de la femme, et en particulier son sexe, du mystère où on le garde depuis des siècles. L’origine de ce mystère change. Auparavant il était lié à la crainte de Dieu. Puis le mystère fut encore favorisé par la science qui fait du corps une sorte de machine. Jouant sur les stéréotypes (bondage par exemple) et en dépit des apparences son approche est tout sauf pornographique. Elle le dépasse ou plutôt l’outrepasse puisque ce qu’elle donne à voir joue du fantasme pour le tordre à tous les sens du terme.
La réflexion intellectuelle charpente ce travail. Mais l’artiste s’en dégage et ne se veut en rien docteur en savoir sexuel. Misungui permet d’aller voir au-delà des clichés de l’idéologie dominante et de ses poubelles pornographiques. À travers les photos, vidéos prises ou tournées par des tiers de ses diverses performances comme de ses textes l’artiste ne fait jamais la morale. Anarchiste par essence, pour elle son corps et ses émotions deviennent un laboratoire, une expérimentation autant existentielle qu’esthétique.
Rencontre.
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
Pas grand-chose, j’adore dormir, j’adore rêver, j’adore traîner au lit, je suis vraiment très très bien à cet endroit et je n’en sors que parce que j’ai trop chaud (en été), trop faim, ou un rendez-vous incontournable.
Que sont devenus vos rêves d’enfants ?
Ahaha ! C’est une très bonne question ! Quand j’étais petite je disais deux choses : « Je serai présidente de la république ! » et « Promis maman je serai riche, tu verras ! ».
Je suis devenue une anarchiste sans le sous, eh eh !
Cela dit, j’avais aussi comme ambition d’écrire un livre dans lequel j’expliquerai mon monde idéal, ce que j’ai fait en écrivant mon mémoire de master (j’ai vraiment suivi ce cursus universitaire dans le but d’écrire ces 250 pages, je me disais que j’aurai un cadre et que ça m’aiderait à réaliser ce rêve).
J’ai aussi toujours rêvé de voyage et de contact avec les animaux, la nature, etc…, ça je le construis en ce moment même de par le style de vie auquel j’aspire et que j’essaie de mettre en place (à savoir : une vie communautaire et auto-suffisante, à la campagne évidemment).
À quoi avez-vous renoncé ?
J’ai donc renoncé à changer la politique de manière frontale, que ce soit par la manifestation, ou l’entrée en politique. Les temps ont changé selon moi, et il me semble plus efficace de construire une alternative concrète en marge, dans le but de déséquilibrer le système et de proposer quelque chose de plausible au peuple déçu, trahit, exploité, désarmé et, il faut le direz complètement paumé.
D’où venez-vous ?
Je suis née et j’ai grandi en Savoie. J’ai de la famille en Bretagne, à Saint-Denis (93), en Charente-Maritime et dans le Jura. Tous blanc, plutôt populaire du côté de mon père, plutôt cultivé du côté de ma mère. Famille communiste, mère institutrice, père mécanicien.
Classe moyenne française, relativement politisée, éducation à coup de pourquoi / parce que.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Ma grande gueule, mon cul, mes yeux bridés, mon esprit critique, mes incessantes remises en question et ma tendance à mener les opérations.
Un petit plaisir (quotidien ou non) ?
Je me branle, ou je perce les boutons de mon chéri.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Facile ! Je n’en suis pas une. Je vis, j’expérimente, le tout est documenté et partagé publiquement mais je ne crée strictement rien, je participe juste au flux continu de l’information en essayant, en bonne mégalomane que je suis, d’occuper une place suffisamment importante pour faire passer quelques-unes de mes idées.
Quelle fût l’image première qui esthétiquement vous interpella ?
Franchement je serai incapable de le dire, ma mère m’a emmené dans des musées assez tôt, il y avait pas mal de bouquins d’art à la maison et elle-même dessinait et peignait. Je crois d’ailleurs que son travail plastique m’a toujours fasciné, donc disons que c’est ça cette image : un œil au milieu de l’espace avec un gros vers tordu entouré par des chauves-souris qui volent autours d’une lune aux cratères profonds.
Et votre première lecture ?
Encore une fois difficile à dire… Il y a un bouquin, un des premiers « pavé » que j’ai dévoré avec plaisir, La révolte des pendus de Bruno Traven. Après il y a mes premiers émois féministes : Judith Butler, Beatriz Preciado, Virginie Despentes.
Acceptez-vous la définition « d’actionniste » pour votre travail ?
Oui ! Avec plaisir !
Quelle musique écoutez-vous ?
Je suis assez old school, j’aime ce que mes parents écoutaient. Du rock des années 70 (Pink Floyd, The Doors, Jimi Hendrix, Deep purple…), de la chanson française plus ou moins engagée (Léo Ferré, Barbara, Brel, Ferra, Brassens, Renault…), et quelques perles des années 80, avec notamment Yellow, que j’adore. Et puis j’écoute la musique de mon compagnon qui est auteur compositeur interprète et contrebassiste. Il a monté plusieurs groupes dont Homosuperior, Bawon Samdi, Captain Carnass et sa momie… avec lui j’ai aussi découvert Flying Lotus, Gonja Sufi, les différents groupes de Mike Patton… J’aime aussi la musique classique, je pense de suite à Rachmaninov ou Eric Sati, et côté jazz, Andy Emler et son megaoctet.
Quel livre aimeriez-vous relire ?
Aucun, je déteste relire, revoir, refaire.
Quel film vous fait pleurer ?
Le tombeau des Lucioles.
Quand vous vous regardez dans un miroir qui voyez-vous ?
Ça dépend des jours.
À qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
Je ne comprends pas vraiment la question… Parmi les gens que je connais ou parmi des personnes inconnues que j’aurais envie de connaitre ?
Je ne crois pas avoir ce genre de problématiques.
Quelle ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Aucune, je ne mystifie pas grand-chose, surtout pas des points géographiques.
Quels sont les artistes dont vous vous sentez le plus proche ?
Annie Sprinkle, Aj Dirtystein, Mrs Rose, Jean Louis Costes… Je ne me sens pas proche d’eux-elles, mais ils-elles m’ont inspiré à un moment ou à un autre.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Généralement je me fais une bonne bouffe avec ma mère et mes frères et sœurs et avec mes potes je prends un acide dans la nature. Un peu de nourriture pour le corps et l’esprit donc.
Que défendez-vous ?
Le droit d’exister librement pour tous et toutes.
Que vous inspire la phrase de Lacan « l’amour c’est donner quelque chose que l’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas » ?
C’est un point de vue. Je pense surtout que le terme « amour » est beaucoup trop galvauder pour qu’on continu à l’employer sans nécessairement y accoler chacun notre lot de stéréotypes divers et variés.
Que pensez-vous de celle de Allen « la réponse est oui, mais j’ai oublié la question » ?
Pas grand-chose.
Quelle question ai-je oublié de vous poser ?
Toutes les autres.
Photographie à la une : Gorgone © Patrick Siboni.
Alain Matou
Bravo tu fais bouger les lignes mais par pitié engages toi plus ! Tu as un message ! Ne reste pas au bord !
mi-da
Mdr « tu fais bouger les lignes » …