Franz xaver messerschmidt

Franz Xaver Messerschmidt

Fidèle miroir de nos sales gueules.

Cher Tristan,

Une fortunée balade dans le musée imaginaire qu’offre la toile m’a offert une impromptue découverte, de celles qui interpellent les sens et l’intellect par la virtuosité du style et la modernité du procédé. En me plongeant dans la destinée accidentée de l’artiste, ses splendeurs et ses misères, ses déboires et l’absolue perfection d’une œuvre unique, ma raison jubile et mes sens frémissent.

Le néophyte que je suis a été subjugué par la force plastique de cette œuvre d’une soixantaine de sculptures. J’ai ainsi entamé de minces recherches afin de cerner le génie de celui qui fait figure d’accident dans le cours tranquille de l’histoire de l’art pour t’intimer à découvrir sans plus tarder la vie de Franz Xaver Messerschmidt.

Les premières années de la vie de Franz Xaver ne comportent que peu d’éléments à même d’éveiller un surplus de curiosité. Il naît en 1736 dans la provinciale Wiesensteig puis part à Munich afin d’apprendre la sculpture sous la tutelle de son oncle. Il s’installe ensuite à Graz où il connaîtra les prémisses d’une renommée nationale et l’intérêt croissant de la cour pour son style académique. La statue de la reine de Hongrie en 1765 sera sa dernière réalisation avant son départ pour Rome. Trajectoire des plus classiques qu’un certain talent auréole de succès.

Mais c’est après 1769 que sa carrière se pare d’un attrait nouveau. La courbe ascensionnelle que prenait sa renommée est stoppée nette lorsque Franz Xaver prend ses quartiers à Vienne. Commence alors une longue décadence. À court de commandes, le sculpteur se voit refuser un poste à l’Académie Royale de Vienne en raison de troubles comportementaux qui le confinent bien vite à la marginalité. Atteint d’une forme de paranoïa, il connaît une tourmente aigüe et se croit persécuté par des esprits malins qui lui rongent peu à peu le corps. L’artiste, de longues heures durant, tente d’exorciser ses démons en s’adonnant à toutes sortes de grimaces face à un miroir. En poussant jusqu’à leurs limites les expressions faciales, il tente de maîtriser les forces qui le tourmentent. La suite n’est qu’une longue déchéance. Exil dans sa ville natale, puis retour à Munich et enfin à Presbourg où il sombre dans l’oubli avant d’être emporté par une pneumonie le 19 août 1783.

Ce n’est donc pas sa biographie étriquée qui m’interpelle plus que cela chez Franz Xaver – même si tu connais ma fascination sophistiquée pour la décadence du génie – mais bien une production intense aux allures d’anomalie. Dans le siècle glorieux du néoclassicisme prôné par les académies et guidé par l’absolu que recherche son docte Winckelmann dans la « noble simplicité et calme grandeur », les heures les plus sombres de Franz Xaver accouchent d’une série de sculptures que la postérité baptisera Têtes de caractères. À l’instar d’un autre tourmenté hollandais du siècle précédent, Franz Xaver se prend pour modèle pour réaliser, tantôt en bronze, tantôt en métal, des effigies secouées de rictus désarticulés, de faciès déformés par des grimaces à l’expressivité cruelle, servis par une virtuosité hors pair. Contre un néoclassicisme figé dans la célébration réitérée du Beau et du Digne, il livre dans cette série de têtes une vision naturaliste attentive, sans crainte du trivial, à l’incommensurable diversité des expressions humaines et renoue en quelque sorte avec l’attitude des kouroi de l’époque archaïque de la statuaire antique, où s’affichaient sourires et mimiques, baignée de l’influence orientale.

Là une tête sourit de toutes ses dents, là une autre éclate d’un rire grossier, ici, une langue tirée fait affront à toute pondération, une autre fronce les sourcils jusqu’à l’éclatement, une autre crie jusqu’à la caricature. Là se trouve le génie d’un artiste tourmenté qui bouscule les codes établis et se livre à l’inventaire décomplexé des facettes de la laideur de la nature humaine. Alors, n’hésite plus, fonce et délecte-toi de ces échantillons, de ce qu’il y a en nous de plus laid, de plus vrai, de plus humain, hors des canons et des normes auxquels une certaine frange de l’histoire de l’art nous a accoutumés.

Amitiés.

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