La fonction de l’orgasme au masculin

La fonction de l'orgasme au masculin

Parce qu’elle a des choses à nous crier.

Elle n’est pas là.
Personne sur la scène.
Et pourtant nous sentons déjà sa présence.
Cette femme, qui ne veut que l’ouvrir, parce qu’elle a des choses à nous crier.

La Fonction de l’orgasme… William Reich… Je me suis longtemps demandé si je devais avoir peur. Je pense que cette peur était justifiée. Une conférence sur ce grand classique de la psychanalyse sur les planches d’une scène nationale a de quoi faire peur. En effet, les engagements artistiques de certains de nos contemporains sont tels que l’hermétisme pourrait rapidement être de mise… C’est le cas d’ailleurs de certains compagnons de route de Larrieu, comme Ludovic Lagarde pour ne citer que lui.

Au commencement, la scène est vide, meublée d’un simple escalier en mousse de trois marches, ornée d’un écran en fond de scène. Évidemment, on parlera d’orgasme durant une heure trente, le sol est donc recouvert d’une chaleureuse moquette à longs poils blancs. L’entrée du public est accompagnée d’une chanson – saluons le travail sonore de David Bichindaritz – histoire de nous plonger dans un univers indéfinissable, premier signe d’un goût certain pour la sélection musicale de cette performance… Parce que oui, nous pouvons clairement appeler ça une performance.

Une splendide adaptation d’une œuvre complexe couplée d’une solide mise en scène.
Constance Larrieu s’associe pour ce projet à Didier Girauldon, ils forment un couple d’équilibre pour ce défi à relever. Larrieu n’entre pas en scène pour l’ouverture du spectacle, mais nous accueille à travers une vidéo. Les premiers contacts qu’elle a avec le texte nous sont racontés. La découverte de l’œuvre de Reich, les premières envies de productions, la confrontation à la réalité, la réaction des professionnels du milieu à cette idée saugrenue. Cette introduction nous connecte directement avec celle qui viendra suer devant nous pour ne pas que l’on oublie une partie de nous-mêmes. Pour ne pas négliger ce qui détermine toute notre vie. Ce n’est pas là une théorie sur les genres, l’adaptation de la magistrale œuvre de Reich est juste et très habile. On ne tombe pas dans du militantisme. On décompose simplement ce qu’est l’orgasme pour la femme, puis pour l’homme, les compatibilités et incompatibilités qu’il peut en découler entre les deux sexes. Puis on poursuit le raisonnement pour en arriver, au final, à se rendre compte tout naturellement que la fonction de l’orgasme est centrale depuis toujours dans l’organisation politique et sociale de l’être humain.

Ce n’est pas un spectacle sur le cul, c’est une décortication minutieuse de pensées fondamentales qui interrogent frontalement notre société du XXème siècle et les héritages qu’elle retient. On pourrait alors penser glisser vers un certains pessimisme, il n’en est rien. La morale de l’histoire est bien plus large que ça. « Ce n’est pas Néron mais Galilée, ce n’est pas Napoléon mais Freud… » qui laissent les traces indélébiles de leurs passages sur Terre en changeant le monde grâce à des pensées et savoirs qui nous éloignent de l’état brut d’animaux. Il est pourtant essentiel de ne pas oublier notre nature propre et de savoir s’écouter, c’est justement parce que nous sommes conscients que nous sommes des animaux, que nous naissons, vivons et mourrons dans un corps que nous saurons nous organiser en société et vivre bien, bons, heureux et épanouis. En pleine conscience et possession de notre dignité d’hommes et de femmes, de notre essence d’êtres humains.

La performance d’actrice est à saluer, Constance Larrieu nous emporte avec maîtrise dans sa réflexion pleinement servie par une mise en scène et une direction d’acteur simple et efficace. La lumière de Stéphane Larose accompagne fidèlement le périple de cette pensée, l’imposante vidéo, par sa précision, de Jonathan Michel est un deuxième personnage, que dis-je… non, un troisième, le deuxième étant la comédienne, habillée par Fanny Brouste (conception) et Hélène Chancerel (réalisation), et le premier étant nous, public, nous humanité, parce que c’est de cela qu’il s’agit.

Cette œuvre parle au monde entier et il est essentiel que notre monde contemporain entende cette parole pour ne pas continuer à glisser vers une organisation de société qui serait contraire à notre nature et nous contraindrait donc à prendre le chemin d’une évolution que nous pourrions alors appeler totalitaire.

Merci et bon vent à cette équipe que l’on peut compter comme indispensables au sein de cette génération qui construit aujourd’hui le monde de demain.

Antoine Guillot

Auteur / Metteur en scène / Comédien / La Compagnie Caravelle

Be first to comment

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.