Odyssée orgastique.
L’institution n’a pas voulu. Trop frileuse pour soutenir un projet détonnant qui explose les budgets et les cadres. Qu’à cela ne tienne.
Cette jeune compagnie a plus d’un tour dans son sac et nous trousse une réponse qui est un véritable pied-de nez à la tentation de la morosité. Joyeusement et magistralement orchestré par un duo subtil, finaud et inventif de co-auteurs et de co-metteurs en scène : Didier Girauldon et Constance Larrieu.
Cerise sur le gâteau, ces deux-là nous convient non seulement pour une revisite pour le temps présent des découvertes et « révolutions » reichienne en matière de sexualité via la si controversée question de l’orgasme, mais ils nous invitent aussi à partager une autre intimité, traitée avec tout autant d’humour : l’histoire de leur work in progress et de ses aléas.
Ce spectacle respectueusement irrévérencieux, sans dénigrer le débat intellectuel (nullement rébarbatif) déjoue les pièges de la vulgarisation de la vulgarité et bénéficie de la collaboration artistique tout en finesse et fluidité de la vidéo (Jonathan Michel) et des lumières (Stéphane Larose).
Ils sont de leur temps, ces jeunes artistes, pleinement de ce temps qui refusent d’être enfermés dans les idéologies, les idées reçues, les évaluations normées et qui revendique le droit à une parole libre, décomplexée, narquoise, tant à l’égard des pairs et de la transmission, qu’à celle de nos vies et comportements, de nos intimités, jamais complaisants, mais toujours fixés sur le but assigné : nous inviter à réfléchir ensemble à la question de la fonction psychologique, sociale, politique du sexuellement correct. Et l’on sent une certaine urgence : il y va de la beauté d’un geste épuré des scories du politiquement correct et des frustrations et dévoiements dévastateurs de tout dysfonctionnement orgastique. Tant masculin que féminin soit dit en passant.
Ce spectacle joue sur l’hybridation, multiplie les tonalités et codes d’expression, bien sûr parce que la matière est jubilatoire, jouissive parfois, mais surtout pour respirer autrement échapper à tout enfermement et les frontières sont allégrement bousculées. Un constant va-et-vient entre images en noir et blanc d’archives ou de films documentaires, en alternance avec la poésie colorée de petits films couleurs (oh ! la scène de copulation du duo de ballons…) et séquences du monologue interprété par Constance Larrieu, nous entraine dans un périple qui prend la forme d’une petite odyssée. Autant d’escales pour un voyage au long cours au terme duquel la dernière parole extraite de La fonction de l’orgasme de William Reich, nous atteint par ses résonnances sociales, éducatives, politiques d’une actualité brulante. Soulignons ici que la création de ce spectacle et antérieure au 07 janvier et, est l’aboutissement de plusieurs années de maturation de recherches et de lectures critiques. Hasard ? Air du temps ?
Aux commandes de ce voyage débridé, une comédienne protéiforme tient le cap (Constance Larrieu). Longiligne, serpentine, androgyne parfois, animale, féminine, elle joue de sa voix et de son corps, habite l’espace et manipule les objets avec l’art d’une instrumentiste inspirée et sensible. Elle porte le monologue en sachant donner la juste mesure de la distance et du rapprochement au public qui nous tient en alerte. Libre à nous d’adhérer ou non au propos, et points de vue envoyés, mais que celui qui n’a pas été touché au défaut de la cuirasse le long de ce périple jette la première pierre ou plutôt le premier ballon. Nous en redemandons de ces surprises qui font du bien par ou ça passe.