Exposition « Lamine Maïga, Abou Traoré, Sanaa Adokou » jusqu’au 22 juillet 2017. Galerie Ruffieux-Bril, Chambéry (dans le cadre du parcours d’art contemporain Afirika Savoies ).
En sublimant l’art du recyclage pour faire œuvre, les scènes de la vie quotidienne représentées sous une apparente légèreté racontent de profondes préoccupations en prise directe avec le monde.
De quelle manière mariez-vous vos approches plastiques et picturales ?
Issu d’une famille de plusieurs générations de teinturiers, j’ai commencé par expérimenter le batik qui est une technique particulière d’impression sur des étoffes. J’ai aussi réalisé des enseignes avec des pointes d’humour, des expressions ou des situations qui peuvent faire penser à certaines peintures naïves.
Progressivement, j’ai exploré d’autres supports comme les radiographies. Je vis au Burkina Faso qui est un pays aux confins du Sahel, assez pauvre, mais où les gens sont très innovants et arrivent toujours à se débrouiller en faisant de la récupération par exemple. Il y a une préoccupation quotidienne d’être dans la vie malgré les difficultés.
En travaillant à partir de radiographies, une de mes premières questions était presque fonctionnelle, celle de savoir comment j’allais transporter mes œuvres pour les amener en France. Sur ce support, j’ai intégré des sacs-poubelle, que l’on peut récupérer un peu partout, afin d’apporter matière et texture à l’œuvre. En les laissant apparents, ils racontent à eux seuls une partie de la vie burkinabée.
Pour fabriquer ma peinture, je cultive des plantes tinctoriales, dont j’ai appris l’utilisation par mes ancêtres, et à partir desquelles j’extrais des pigments. Cela fait donc d’une part sens avec mes origines et il y a d’autre part un aspect écologique. Avec les pigments naturels, il y a aussi une certaine fragilité contrairement à la peinture de carrosserie que j’utilise par ailleurs.
Quels ponts faites-vous entre les cultures africaines et européennes ?
Dans les années 90 au Burkina Faso, il y avait matière à exposer sur place, et plus les expatriés ou les coopérants se sont faits rares en Afrique, plus j’ai cherché à développer mon savoir-faire à l’étranger et notamment en France avec laquelle j’ai des liens particuliers.
Je suis un autodidacte et j’ai dû me battre pour développer ma démarche artistique car ce n’était pas l’avenir que l’on imaginait pour moi quand j’étais plus jeune. En France, j’ai découvert de grands peintres classiques et cela a nourri ma recherche en me poussant à aller chercher au fond de moi des choses plus personnelles. La rencontre entre les cultures africaines et européennes est un carrefour nécessaire. Nous sommes tous des oiseaux du même monde, il faut créer des rendez-vous où l’on peut donner et recevoir.
Quelle place prend la transmission dans votre démarche ?
Je fais des interventions dans des écoles ou auprès de personnes âgées car le relationnel est très important pour moi ; j’aime expliquer ce que je fais et ce qu’est la vie au Burkina Faso. L’art devient un médium pour aborder des sujets qui me préoccupent et qui peuvent être difficiles. Dans ce que je peux représenter, il y a aussi bien du figuratif que de la symbolique.
Derrière des scènes qui pourraient paraitre presque naïves ou légères, se cachent en fait des préoccupations très profondes comme la montée de l’islamisme intégriste dans le pays, la condition des personnes homosexuelles qui se font battre, ou encore l’excision qui demeure une tradition malgré toutes les controverses. En passant par le support que peut être l’œuvre, cela me permet de créer un lien entre la culture française et burkinabée. C’est un prétexte à ouvrir la discussion, à transmettre, sans être polémique.
Image à la Une © Les amoureux – Lamine Maïga. Technique mixte sur radiographie (40 x 50 cm).