L’Arlésienne

Histoire triste pour enfants grands et moins grands.

L’Arlésienne c’est cette jeune femme libre qui cueille des amants sans en avoir l’air. L’Arlésienne c’est l’histoire d’un de ces amants, Jan, qui rêve de l’épouser et trébuche la veille du mariage sur les révélations d’un concurrent, s’effondre, se relève, trébuche encore et finalement s’écroule, définitivement. Une pathétique pastorale écrite par Daudet, musique de scène de Bizet, où l’amour et l’honneur conduisent à la mort ; « On ne peut pas mourir d’amour » fredonne Anne Girouard au sortir de la pièce, et pourtant…

Ce soir la salle est pleine d’un public qui disparait dans les dossiers des sièges, des petites têtes qui dépassent à peine, murmurent de temps en temps dans le creux d’une oreille, découvrent les tourments des passions malheureuses avec leurs regards d’enfants. Sur scène, assis en arc de cercle sur la moitié cour, trois musiciennes, trois musiciens, hautbois, flûte – traversière ou piccolo – clarinette, basson, cor classique et harpe, tenues noires, pupitres, solennité d’orchestre. Moitié jardin, une table longue, cinq chaises, une nappe d’un blanc virginal ou sépulcral selon les moments, une corbeille de pétales, et une comédienne pour raconter l’histoire et incarner tour à tour chacun des personnages. En fond, une large toile à la couleur changeante pour souligner les remous du drame – rouge passion, bleu tristesse, vert espoir…

La pièce commence, lumière dans la salle qui disparait après quelques minutes, musique. La narration se superpose aux mélodies, lui survit, la rattrape ou s’éteint la première ; mais il semble qu’un mur sépare la fable de son orchestration : chacun son rôle, chacun sa place, comédienne et instrumentistes évoluent aisément dans leurs sphères respectives, sans autre interaction que l’illustration musicale d’une tension dramatique ou d’un enjouement passager ; plus proche d’un Pierre et le Loup de Prokofiev que d’un Piccolo et saxo d’André Popp, la musique accompagne mais ne joue pas ; l’orchestre s’exécute sans accroc, posé sur scène comme un décor animé, à distance de l’action à quelques rares exceptions près, trop circonstanciées pour construire du sens.

Côté jardin le défi est de taille : réciter une histoire, donner à voir des décors, des lieux, des évènements sans les exposer dans le vif de la chair en mouvement, par la seule puissance évocatrice de la parole littéraire – la plus difficile des pratiques théâtrales. Heureusement les personnages s’incarnent tour à tour dans le timbre de la voix, ponctuent le récit de moments de douleur ou d’espoir vibrants, pathétiques à fendre l’âme, portés par une comédienne qui parvient alors à traduire avec juste ce qu’il faut de retenu les passions ravageuses qui poussent l’Homme à la folie.

Alors quoi ? L’Arlésienne, un spectacle de poche ? Le format est court, le dispositif minimal, le mythe univoque et les interprètes en nombre raisonnable. Un spectacle jeune public ? Peut-être… mais je doute : l’apparente simplicité de la mise-en-scène n’a-t-elle pas plutôt complexifié la réception de la pièce ? Et si le sens importe moins que le spectacle, pourquoi ce dénuement ? À la fin d’une heure d’attention concentrée, la salle se vide sans heurts, passés les applaudissements. Quelques questions, quelques doutes adressés aux parents, une douleur qui « pèse comme un couvercle » malgré les derniers échos de farandole. Je sors à pas lents, l’esprit soucieux, la tête pleine de critiques mais le ventre noué et les yeux rouges encore d’une vieille douleur, bien loin d’être d’enfantine.

Image à la Une © Opéra de Lyon.

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