Les armoires normandes

Les Chiens de Navarre ou la thérapie par le rire.

Partout où ils passent, Les Chiens de Navarre propagent un rire quasi thérapeutique dans leur sillage. Dans leur spectacle Les armoires normandes, entièrement maîtrisé et assumé, ils dissèquent les relations de couple (et bien plus encore) sans aucun complexe.

Le ton est donné dès l’entrée du public dans la salle avec un Jésus-Christ ensanglanté suspendu à sa croix au-dessus de la scène. Bavard et presque impatient, il interpelle les spectateurs sur leur lenteur pour s’installer, ou sur le fait de savoir si la Savoie s’est enfin remise de ne plus être italienne, ou encore vis-à-vis d’un groupe de jeunes « le théâtre ce n’est pas comme la télé, mais ne vous inquiétez pas, vous allez vite comprendre comment ça se passe ». Prenant différentes poses, il passe en revue les multiples représentations de sa personne suivant les âges : au Moyen-Âge à la Renaissance avec ces belles couleurs chatoyantes, ou dans l’art byzantin « je n’avais pas l’air, très serein, je devais avoir des affaires au cul » – toute ressemblance avec des personnes existantes est bien sûr fortement conseillée. « Vous êtes un peu surpris de ma personne » questionne-t-il, la réponse serait oui, agréablement, car il vient de nous charmer et de nous donner la couleur de ce qui va être proposé.

Au fil des scènes, on voit se succéder un homme seul dans son quotidien ordinaire, allant aux toilettes ou prenant sa douche, et à qui on va livrer un mystérieux colis contenant un pistolet ; il n’arrivera pas à en finir. Vient alors les interviews de plusieurs couples qui évoquent leurs rencontres, leurs vies ensembles, l’importance d’écouter l’autre (même si dans les faits, ils ne s’écoutent pas du tout parler). Lors de la traversée d’un jeune couple de mariés dans la salle, on ne peut que penser que la cérémonie qui va s’en suivre risque de tourner au drame. Si vous êtes déjà allé à un mariage pendant lequel vous avez assisté au discours de la cousine ou du témoin qui plombe l’ambiance, vous pouvez d’ores-et-déjà imaginer ce qui peut être renvoyé. Tout cela est un peu comme une dissection sarcastique des rapports de couples, et a fortiori des relations humaines, dans laquelle tout à chacun peut se projeter car les situations font appel au réel, à nos propres expériences, au concret.

Les Chiens de Navarre, aussi irrévérencieux que cocasses, attachent une grande importance à l’écriture de plateau et à la place de l’improvisation tant dans le temps de la création que dans celui de la représentation. Cela se perçoit par séquences tout du long, et même si le public est quelques fois « malmené », il semble en redemander – en témoigne ce « Ta gueule » spontané lancé par un des acteurs qui commence à pianoter les premières notes d’Un homme heureux de William Sheller en demandant à la régie / public si l’on entend bien. Bon nombre de spectacles tentent de briser le quatrième mur, comme il est coutume de le nommer, en interpellant le public ou en investissant la salle. Cela ne « fonctionne » pas toujours mais cette jouissive troupe d’acteurs maitrise si bien et si justement la chose qu’on ne peut que les saluer. Ce qui est aussi à saluer dans Les armoires normandes est tout le jeu d’acteur en mime : celui ou ceux qui sont sur scène font mine de jouer les paroles qui sont en fait dites par leurs comparses sur le bord du plateau. Ces voix portées sur des corps différenciés créent un décalage singulier et des situations comiques à souhait en toute habileté.

Gonflés à bloc, Les Chiens de Navarre se déchainent et insufflent de réelles bouffées d’oxygène et de rire – le bon vieux rire, vrai, entier et sincère qui s’appuie sur le réel – dont nous avons cruellement besoin, même sans le savoir, et cela fait tout simplement du bien à l’âme.

Photographie à la Une © Philippe Lebruman.

Kristina D'Agostin

Rédactrice en chef de Carnet d'Art • Journaliste culturelle • Pour m'écrire : contact@carnetdart.com

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