Apparitions.
« Le geste du regard », Éditions L’Atelier contemporain, 20€.
Avant la fin du XIXème siècle les œuvres rupestres furent occultées. On les connaissait pourtant. Dans les grottes de Rouffignac ou de Niaux, certains venaient les voir : elles étaient des distractions souvent recouvertes de graffiti iconoclastes. La scène inaugurale de leur véritable découverte aurait eu lieu en 1879 lorsqu’un gamin repéra les grands bisons rouges et noirs d’Alatamira. Il fallait donc la « naïveté » enfantine pour ouvrir le banc. Il fut néanmoins accusé d’avoir engagé un artiste local pour peindre de telles figures animales… Quelques années plus tard Émile Rivière accorda la réalité et la puissance à l’art préhistorique par son étude de la grotte de la Mouthe. La frénésie pré-historiographique commença.
Depuis les découvertes n’ont jamais cessé jusqu’à deux acmés : Lascaux (1940) et Chauvet (1994). Mais il fallut du temps aux esthètes pour se nourrir d’œuvres qui demeurent un mystère. Le surréalisme fit beaucoup pour elles. Et certains restent dans leur sidération : « Le jour où les œuvres de la préhistoire sont entrées dans mon existence, j’ai reçu leur abîme de temps, avec le même sentiment de vertige qui les avait fait admirer quand s’était effondré le plancher grec, égyptien ou mésopotamien sur lequel on croyait solidement se tenir » écrit Renaud Ego.
Le poète et essayiste montre dans son livre comment l’art et l’humanité ont jailli des lèvres de la terre. Ils eurent « le feu pour énergie et, pour lumière, un rêve animal dont elles nous adressaient la dévotion et le faste ». Ces découvertes ont relativisé les schémas tenaces d’un surgissement brutal des images. L’auteur prouve que dans la longue durée de sa « pré-histoire » l’évolution de l’art rupestre rend précaires voire caduques certains savoirs. Aux alentours de – 40 000 ans, existent déjà des foyers de création plus raffinés qu’on ne le crut.
Ego propose de belles hypothèses sur la généalogie des images et tracés graphiques. Il les différencie selon deux notions « tracés non iconiques » pour ce que la littérature préhistorique nomme « signes » et « tracés iconiques » pour ce qu’on appelle des « figures ». Néanmoins cette approche duale est moins segmentée qu’il n’y paraît l’auteur y introduit bien des bémols. Il offre une avancée importante sur un art qui pour une grande part nous échappe autant qu’il nous fascine. C’est la tache aveugle qui pose bien des interrogations sur ce qu’il en est des arts et des civilisations.
Image à la Une © Éditions L’Atelier contemporain.