Les Fourberies de Scapin

Molière comme dans un rêve.

La scène semble passée au pastel bleu nuit : une bicoque taillée sans angle droit, au toit trop petit pour ses fondations, une douce lumière, une toile de fond qui donne envie d’y chercher des étoiles et cerise sur le gâteau, cette petite musique qui vous transporte dès le lever de rideau quelque part dans le sud, là où la vie est simple. Dehors le ciel est gris, c’est la grève et l’état d’urgence. À l’intérieur un rêve commence, ou plutôt : « une histoire de folie, une course effrénée et libre, machine parfaitement lancée qui ne s’arrête qu’une fois les personnages repus, exsangues, emportés par la fièvre de la scène.[i] »

L’histoire vous la connaissez peut-être : celle de deux étourneaux qui demandent à un vieux renard de duper leurs pingres de pères pour satisfaire leurs passions amoureuses. Des hauts, des bas, et un deus ex machina qui permet de ranger la pièce au rayon des comédies plutôt que des drames. Le tour de force, et le défi posé par ce classique du répertoire, consiste à rallumer sa flamme de vieux texte connu, pour nous replonger dans une « course effrénée et libre ».

En fait de « machine parfaitement lancée » la troupe dispose d’un atout de premier ordre : Denis Lavant. Cet acteur passé maitre dans l’art de porter son corps comme un costume, emporte dans son jeu, curieux mélange de force et d’agilité entre théâtre, mime, cirque et magie, l’ensemble des comédiens. Les traits grossis par une démarche, des poses, un timbre de voix bien à lui, chaque personnage émerge dans le silence des craquements d’os, bien avant l’apparition d’un texte. Difficile de ne pas penser à M.Merde[ii] en découvrant Scapin, terrible et fascinant.

En plus ce soir les comédiens débordent d’énergie, qu’ils s’époumonent, pouffent, chantent ou maugréent. « Je reviens une nouvelle fois à Molière » écrivait Marc Paquien dans sa note d’intention ; à son texte donc, mais aussi au jeu de Molière, du Molière de L’Impromptu de Versailles, ce metteur-en-scène qui part du corps, travaille la voix et le geste avant même que ses comédiens ne connaissent leur texte.

Mais revenir à Molière, c’est aussi revenir à la Comedia dell’Arte et à ses types, personnages grotesques et caricaturaux, impossibles mais d’une juste démesure. Ici chacun adopte et conserve donc une posture, grime sa voix et assume ses geste, ses propositions jusqu’au bout – avec succès le plus souvent. Chacun suit sa propre folie, « parfaitement lancée », et l’histoire s’emballe avec une frénésie enchanteresse digne d’un film d’Emir Kusturica[iii].

Après le salut final des élèves enthousiastes discutent sous l’œil charmés de leurs profs. Dehors c’est la grève et l’état d’urgence, alors ce soir Molière s’est fait moins politique qu’il ne peut l’être. Ce soir la troupe se livre : il faut s’amuser comme des gosses. Ce soir j’ai vu des comédiens jouer, et je me suis souvenu de jouer pour le plaisir. Dehors le ciel est gris, c’est la grève et l’état d’urgence. Ce soir j’emporte un peu de rêve, alors merci, et bonne chance.

Dates :

Image à la Une © Gérard Dubois.


[i] Source : Note d’intention de Marc PAQUIEN
[ii] M.Merde est un personnage interprété par Denis Lavant dans Holy Motors, ou Tokyo ! de Leos Carax
[iii] Réalisateur de film, Chat Noir Chat Blanc par exemple.

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