Nachlass

Éternelle humanité.

Dans ses pièces sans personnes, Rimini Protokoll fait sortir le théâtre de ses murs en abordant le Nachlass, ce que laisse un défunt après sa mort. Aucun acteur donc, mais une présence humaine si forte que l’on perçoit l’éternel.

À Vidy – Théâtre de Lausanne, faire l’expérience de Nachlass est un peu comme une procession, monter des escaliers en colimaçon, traverser une passerelle en verre avant de se retrouver dans un dispositif singulier. Le temps de s’habituer à la pénombre, on découvre huit portes au-dessus desquelles le temps défile. Au centre, un lieu d’attente, de passage, comme un espace-temps entre deux mondes, celui des vivants et des morts, rythmé par le décompte du nombre de décès en temps réel dans le monde. Ici ou là, une lueur s’allume, une âme est partie et plane au-dessus de nos corps.

Durant deux ans, Stefan Kaegi, Dominique Huber, Bruno Deville, Katja Hagedorn et Magali Tosato ont enquêté sur la mort en se rendant dans des hôpitaux, maisons de retraite, entreprises de pompes funèbres, etc. afin d’interroger notre rapport à cette dernière. Ils ont ainsi rencontré des personnes qui pour une raison ou une autre ont envisagé leur disparition. Avec chacun, Rimini Protokoll a conceptualisé une pièce symbolisant leur trace de leur passage sur Terre. Là, on pénètre dans une chambre d’un motel américain, souvenir du voyage qu’Alexandre, atteint d’une maladie génétique rare, a fait avec sa fille. Ici, on rencontre Jeanne qui passe ses derniers jours en maison de retraite ; toute sa vie est représentée au travers de photographies – c’est son Nachlass à elle, son héritage –disposées sur une table dans une pièce de son ancien chez soi. Là-bas on passe un moment avec Anne-Marie et Günther, ayant vécu toute leur vie ensemble, ils veulent pouvoir choisir quelle sera leur fin, ensemble. Et derrière cette porte, on rentre dans une salle blanche hexagonale, c’est Richard, professeur au CHUV, qui nous invite à mettre des casques audio et à s’installer devant un dispositif où l’on sonde des images de sa vie, notre propre reflet ou celui des autres personnes présentes.

Autant de seuils franchis entre l’absence et la présence, autant de témoignages qui questionnent le rapport à la mort dans nos sociétés occidentales. Ce sujet est souvent tabou car il est intiment lié à la peur du non –savoir ; il est également très paradoxal car la mort est par exemple, médiatiquement très présente mais l’on essaie toujours de s’en éloigner le plus possible en mettant nos « vieux » en maison de retraite contrairement aux sociétés orientales où l’on garde les anciens auprès de nous, dans la famille. Savez-vous ce que vous voulez pour votre enterrement ? Avez-vous envie d’avoir le droit de choisir comment mourir, là où la fin de vie médicalement assistée est possible en Suisse mais interdite en France ? De quoi voulez-vous que vos proches se souviennent après votre disparition ?

Les vivants dialoguent, interagissent avec les morts comme un cheminement que tout à chacun peut vivre au quotidien. Il serait difficile de dire que Nachlass est un succès, cela prêterait peut-être à confusion mais c’est bien le cas. Ce travail est pertinent, réalisé avec beaucoup d’intelligence, un théâtre du réel qui nous plonge dans l’universel.

Photographie à la Une © Stefan Kaegi.

Kristina D'Agostin

Rédactrice en chef de Carnet d'Art • Journaliste culturelle • Pour m'écrire : contact@carnetdart.com

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