Orestie (une comédie organique ?)

Ou les backrooms des puissants.

Se déplacer jusqu’à la MC2 de Grenoble pour voir un énième spectacle de ce type que je déteste pour ce qu’il me renvoie à moi-même.
Rentrer dans la grande salle du théâtre et se rendre compte qu’il y a de jeunes élèves et de vieux bourgeois dans le public.
Se laisser surprendre par une première partie qui n’a pas l’air de ressembler à lui-même et par une deuxième qui revient aux fondamentaux de l’artiste.

L’Orestie, avant de passer entre les mains de Castellucci, c’est quoi ?

C’est une tragédie grecque. Comme dans toutes bonnes tragédies qui se respecte, il s’agit d’Agamemnon, roi d’Argos, qui sacrifie sa fille, Iphigénie, avant de partir faire la guerre à Troie. Clymnestre, la mère d’Iphigénie et la femme d’Agamamnon, attend le retour de son mari au palais pour se venger. Ce qu’elle fait, tuant son mari dans son bain à son retour. Oreste, le fils, venge son père en tuant sa mère. Oreste, rongé par les remords, devient fou… Évidemment cette histoire a été prédite par Cassandre, butin de guerre d’Agamemnon à son retour de Troie.

Ce qu’en fait Castellucci.

Il est l’ouvrier de la beauté violente, celui qui sait créer des images qui restent à jamais gravées dans notre esprit, la preuve avec les intacts résidus qu’ont gardé les spectateurs de Hey girl en 2007 ou de L’enfer, le purgatoire et le paradis d’après Dante, en 2008. Il faut savoir se laisser porter par la cruelle poésie de l’univers complet qu’il nous propose. La présence de bruits, de musiques, celle du voile qui nous sépare de la scène, nous coupe de tout réalité. Il est très difficile de décrire un spectacle de Castellucci pour celui qui n’en a jamais vu, mais cette première partie de l’adaptation de l’Orestie qu’il nous livre semble marquer une évolution non négligeable de l’artiste dans son travail.

Pour la première fois, il me semble que nous avons à faire, non pas à une succession de scène plus esthétiques les unes que les autres formant, assemblées, un récit, mais à un plongeon dans l’abîme des émotions qui poignardent les personnages. En effet, pour la première fois, le metteur en scène nous offre l’occasion d’entrer en empathie avec ce que traverse ce mythe et pour ça, il se sert des matériaux d’un univers tranchant qui est loin d’être anodin, qui est celui de sexualités hard sadomasochistes. Ces personnages trouvent une jouissance dans leurs massacres à travers les bains de sang, les coups de fouets et autres pratiques largement répandues dans les darkrooms des plus grandes capitales du monde. Kidnappés, attachés, violés, les tétons pincés, fouettés… il ne manque plus que la pisse pour en faire un porno contemporain. Pourtant, quel que soit les penchants et délires sexuels du spectateur, Castellucci arrive à nous happer et à nous enfermer dans cette roue infernale dans laquelle nous savons que le pire est toujours à venir. Nous ne pouvons pas détourner le regard, non pas comme voyeurs – la distance à la scène se fait tout naturellement – mais comme témoin impuissant de la déchéance de ces personnages et de l’histoire donc, de notre histoire.

Orestie © Guido Mencari

Orestie © Guido Mencari

Pourquoi raconter cette histoire en 2016 ?

Je me souviens de la mise en scène d’Olivier Py en 2008 à l’Odéon, évidemment nous étions plongés dans un tout autre univers, ce qui est intéressant c’est qu’à bien y regarder, nous pouvons considérer que cette création a été pour Py le tournant de sa carrière après lequel il s’est installé dans un confort répétant ses trucs et astuces qui fonctionnent et plaisent au public, elle signe sans doute la fin de sa recherche et de son audace scénique.

Chez Castellucci il en est tout autrement, effectivement ce spectacle marque peut-être un tournant dans son travail également, l’avenir nous le dira. Cependant, il semble que chez l’artiste italien il s’agisse d’un tournant bénéfique. Après avoir maitrisé parfaitement pendant des années l’esthétique surréaliste de la scène, il nous laisse maintenant entrer en empathie avec l’action scénique, ce qui donne tout son sens à la lecture contemporaine de l’œuvre plus que millénaire.

Trouvons ainsi chez le nouveau Castellucci, comme il le dit, « L’indicible horreur prend forme dans une glaciale beauté et me parle de moi ».

Prochaines dates :

Image à la Une : Orestie © Guido Mencari.

Antoine Guillot

Auteur / Metteur en scène / Comédien / La Compagnie Caravelle

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