Rencontres de Jardins

En ce temps là, j’avais pris l’habitude d’aller au jardin des plantes. Je m’y rendais en longeant le canal. Sur le bord de la rive, se trouvaient quelques pêcheurs et leur campement composé de plusieurs tentes. À défaut d’océan, un cours d’eau peut suffire à une pêche de nuit au lamparo.

Le chemin était peu fréquenté. Il était bordé de ronces, d’orties, qui venaient chatouiller les chevilles roses des joggeurs, excitant ainsi leur colère.

C’était une promenade qui m’était devenue nécessaire. Un bonheur revigorant, qui permettait de s’élever au dessus des pesanteurs quotidiennes. Je venais toujours à cette heure où le jour se dilue dans la nuit. On peut alors sortir sans crainte de se montrer tel que l’on est. On n’est plus obligés de jouer le surhomme du quotidien, la pression est retombée. On peut afficher un visage sans fards, un pantalon trop large ou un tee-shirt immonde.

Cela favorise la sortie de toutes sortes de personnages.

Ainsi, je croisais régulièrement un vieux monsieur, habillé d’un pantalon en velours, tenu par des bretelles. Sa chemise à carreaux était recouverte d’un Bombers noir. Il se promenait tous les jours à la même heure. Il me saluait, ôtait son béret, et me disait d’une voix chantante : « Ami du soir, bien le bonsoir ! ». Ce à quoi je répondais en général : « Lune à moitié pleine, verre bien rempli ! ». Il partait alors dans un grand éclat de rire, et se mettait à fracasser sa canne contre une poubelle. Quand au bout de plusieurs coups, il se mettait à fatiguer, il s’arrêtait et me disait essoufflé : « Elle était bien drôle celle-ci ». On repartait alors, chacun de son côté, sans trop chercher à en savoir plus. Il avait aussi cette manie, parfois, de foncer dans les pigeons en faisant tournoyer sa canne au dessus de sa tête. Il prenait son élan et criait un « Ah ! », sec et puissant, envoyant son corps désarticulé à l’assaut de la horde de volatiles. C’était là une scène étonnante.

Après quelques hectomètres à l’abri des tilleuls, je débouchais sur l’entrée du Jardin. Celle-ci était composée d’un saule pleureur et d’un chêne centenaire. Ils faisaient office de gardiens. Ils avaient dû en voir de ces amours naissants, de ces promenades main dans la main. Ils avaient dû être les témoins de bien des crasses aussi, de bien des pleurs cachés à l’abri des regards.

Des abélias, des buis ainsi que des caryoptéris étaient disposés le long du chemin en gravier. Les arbustes se succédaient et donnaient un ensemble harmonieux. L’effet était réussi. Des floraisons se suivraient toute l’année, on ne se promènerait pas sans couleurs. Un buste en bronze du docteur K, trônait, majestueux. On ne pouvait pas le rater. Il était écrit que le docteur avait été conseiller du maire, président de l’amical des médecins de la région, ainsi que fondateur du club de golf de la ville. Il avait sans doute été heureux cet homme. Et fier surtout. On devait se baisser bien bas quand on le croisait dans la rue.

Le jardin faisait une belle boucle, qui ne fatiguait pas trop le citadin. Si à cette époque, vous avez eu l’occasion de vous rendre en ces lieux, vous avez sans doute aperçu Félicien. C’était un de ces hommes qui passent leur vie à étudier la nature. Et lui, il était passionné par les étamines et les pistils. Il en dessinait sur son carnet, ne manquant pas de croquer tout ce qui lui venait sous la main. Il connaissait pour ainsi dire, tous les noms latins des plantes, et m’apprit des choses stupéfiantes sur la reproduction des fleurs. Je lui dois aujourd’hui mes connaissances sur le sujet, et bien plus encore.

Quand je passais devant les érables, je rencontrais assez régulièrement une jeune femme, qui venait toujours dans le sens opposé au mien. Elle répondait à mes salutations, par un de ces sourires qui justifie de se lever matin. Elle portait souvent un jean délavé et de fines bottines noires, une veste en daim sur un chemisier blanc en dentelles, finement brodé. Des yeux bleus clairs donnaient une profondeur à son visage rond. Ses cheveux étaient noués à l’aide d’un crayon de papier.

Elle avait l’allure d’une Coralie à la sortie du théâtre. Parfois, je la voyais lire, assise sur le banc à l’abri des sycomores. C’est un spectacle que je n’aurais troqué pour rien au monde.

Ma déambulation se poursuivait ainsi au gré des humeurs, et quand la nuit se faisait vraiment sentir, que les réverbères s’allumaient, je me décidais à rentrer.

Les cloches de l’église sonnaient vingt heures et c’était le moment que Félicien choisissait pour s’en aller. Il me précédait toujours de quelques minutes. Il marchait rapidement, les mains dans les poches de sa veste usée. Il s’en retournait sûrement chez lui, où ses livres et ses dessins devaient l’attendre.

Un jour que je rentrais de ma ballade nocturne, j’entendis des clameurs qui provenaient de la place du Paquis. On inaugurait le nouvel investissement de la mairie. C’était une rampe que des skieurs descendaient à toute vitesse, et qui donnait lieu à un saut vertigineux. La foule, ravie, accompagnait chaque atterrissage par des hourras. Les portables suivaient les mouvements des sportifs, et fixaient ces moments d’éternité. La nuit était douce, les éclairages intenses. De bons verres de vins chauds finissaient de faire basculer les cœurs dans un sentiment de bien-être ultime. Monsieur R, le maire de la ville, était aux anges et tapait fort dans ses mains. Heureusement que de nos jours, pour le plus grand bonheur de tous, de tels hommes pensent ces réjouissances. On s’en trouverait malheureux à en crever sinon.

À vous, Maria de la Lys, qui partagez ma furtive destinée, et dont la présence me permet de vivre le sujet évoqué ici.

Photographie à la Une © Loïc Mazalrey, Central Park.

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