Requiem for a piece of meat

L’homme est un cochon comme les autres / Le cochon est un homme comme les autres.

Homme de danse et de théâtre, chanteur et performeur, Daniel Hellmann poursuit son travail de recherche en interrogeant les contradictions qu’il peut exister dans notre société. Après sa performance en solo, Traumboy, qui posait des questions sur le travail du sexe et plus largement sur les rapports de domination d’humain à humain, Requiem for a piece of meat soulève cette fois des questions sur le rapport des humains vis-à-vis des animaux.

Requiem for a piece of meat est une proposition en sept temps où se mêlent danse, chant et musique. Sur le plateau, morceau de bacon, salami, mortadelle et saucisses se mettent à frémir, dévoilant un à un les huit interprètes / performeurs dont les corps s’extraient de la chair animale transformée. Peu à peu, les corps des interprètes empruntent différents chemins, tantôt ils s’apprivoisent, tantôt ils se confrontent ou s’affrontent. Sans jamais tomber dans le mimétisme animal, les corps deviennent sauvages, livrés à l’état brut, en offrant aux spectateurs de multiples endroits où porter le regard, les plaçant en voyeurs de ce qui se déroule sur le plateau. Dans cette proposition qui va à contre-courant des codes que l’on peut préconcevoir au théâtre, les interprètes évoluent avec finesse et justesse, se livrant par leur moyen d’expression privilégié. On pense ici aux temps dansés de Géraldine Chollet, aux chants Giovanna Baviera, ou encore à la musique composée par Lukas Huber émanant des instruments.

Le fruit d’un long travail de recherches de la part de Daniel Hellmann et de son équipe artistique transperce sur le plateau. Dans la gestuelle ou le comportement, on peut deviner des références aux mouvements répétitifs effectués dans les abattoirs. Il subsiste aussi des réminiscences du travail avec un collaborateur assez particulier : Nacho, un cochon. Ce collaborateur qui a sa primo importance dans la mise en scène a permis à l’équipe artistique d’apprivoiser certaines facettes du comportement animal afin de nourrir le travail de création et de s’en servir comme matière à la représentation. Ici, on peut évoquer un passage où des pommes sont dispersées sur le plateau, et avec toute leur symbolique sous-jacente, viennent comme point d’appui et de partage dans le temps IV. Dans la gueule du lion – je mange ce que je veux. D’autres moment de la pièce font appellent à des images très picturales, et l’on peut ainsi penser à certaines toiles d’Ingres, notamment lorsque Krassen Krastev se love tandis que la férocité de Hea Min Jung explose.

Il est à noter que ce spectacle fut déprogrammé dans certains lieux, et non loin de vouloir discuter les choix d’untel ou d’untel, cela suscite une interrogation sur les faits. Est-ce qu’aujourd’hui, l’on peut se permettre de préjuger de la réaction d’un public ? Voir une femme se malaxer la poitrine, ce qui dans le propos du spectacle peut renvoyer directement à la traite laitière par exemple ; ou voir un homme avoir un touché rectal, ce qui là peut renvoyer aux différentes pratiques vétérinaires ; est-ce si choquant, quand cela est mis en scène avec une certaine pudeur et en accord avec les interprètes ? Cela tend à refléter certains diktats de la bienséance communément acceptable alors que nous sommes continuellement abreuvés d’images d’une extrême violence. Celles-ci demeurant souvent derrière la barrière virtuelle qu’est celle des écrans seraient-elles plus acceptables ? Il est peut-être ici question d’une contradiction de plus dans notre société.

Les contradictions, il en est effectivement question dans Requiem for a piece of meat : celles de nos comportements vis-à-vis des animaux, de la chaine alimentaire. Ces contradictions ne seraient presque qu’une allégorie plus large renvoyant aux propres contradictions des relations d’humains à humains. Dans le contexte actuel où les attentats se multiplient, où des réfugiés meurent noyés, où la violence est exposée de toute part, et les exemples sont nombreux, comment en arriver à se préoccuper de la condition animale alors que l’on arrive tout juste à se préoccuper de la condition humaine. C’est peut-être à cet endroit que le bât blesse parce qu’il faut peut-être tendre vers un nouvel équilibre où la morale et l’éthique pourraient s’appliquer à toute entité vivante. Une comparaison sur le même plan entre des formes d’esclavage ou de non inégalité entre les femmes et les hommes, et le droit des animaux pourrait paraître presque choquante. Mais à bien y réfléchir, pas tant que cela. C’est ce que soulève cette pièce, en toute humilité, en posant les questions sur notre propre intégrité et sur la remise en cause de certaines évidences. De plus, sans tomber dans le militantisme, cette proposition artistique permet d’ouvrir le débat entre les différentes personnes présentes sur le moment, et au-delà dans de prochaines discussions.

Photographie à la Une © Nelly Rodriguez.

Kristina D'Agostin

Rédactrice en chef de Carnet d'Art • Journaliste culturelle • Pour m'écrire : contact@carnetdart.com

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