Pour l’amour des bêtes.
Après King Kong Théorie et Ivanov, Émilie Charriot met en scène l’Adieu aux bêtes, un texte du dramaturge, écrivain, et scénariste Antoine Jaccoud. Dans ce monologue empreint d’émotions, il est question d’interroger une vieille amitié animale ouvrant ainsi le chemin vers les rapports humains.
Sur un plateau nu, un comédien est là pour dire adieu, ou peut-être au revoir seulement, à un monde où les bêtes ne seraient plus, où le règne animal s’est délité face à (à cause de) celui de l’Homme. Reflet du travail d’Émilie Charriot dans la direction d’acteurs, Jean-Yves Ruf se place à un juste endroit, tenant son monologue de bout en bout avec une force, une présence et des émotions données à l’état brut. Avec un certain naturel, il livre un plaidoyer où l’humour rencontre la mélancolie. On rit de bon cœur en entendant des situations pouvant avoir été vécues par chacun et frôlant parfois l’infantilisation avec son animal de compagnie. On peut également ressentir une profonde nostalgie prise dans une tendresse infinie au temps d’un temps qui n’est plus désormais, celui où l’on s’interroge sur le devenir maintenant que nous sommes seuls et dans une sorte d’impuissance face à l’inéluctable.
Ces propos sont renforcés par la création lumière de Yann Godat apportant un niveau de lecture supplémentaire et entrant en résonnance avec la parole dite. Les ombres projetées sur les murs prennent tour à tour le rôle d’un dédoublement de l’homme dans le souvenir – le montrant aussi bien grand et fort que petit et faible –, ou le rôle d’un homme perdu face à de multiples choix l’écrasant au sol. Face à ces maux de l’homme, la présence, tout du long de la pièce, de Tanguy, un âne, aux côtés du comédien apporte un autre point de fuite pour le regard où cet animal impassible semble prêt à partir, sans regrets.
En toute simplicité, sans jeu qui se voudrait de l’ordre du spectaculaire, sans cri et sans violence, Le Zoophile nous fait sortir d’une forme d’hystérie collective en apportant matière à réflexion avec douceur. « S’il n’est plus une bête pour écouter les pénitents », que ferions-nous ? Est-ce que l’homme tendrait à (re)devenir bête pour ne pas « se laisser happer par le silence ? ». Vis-à-vis de la mise en danger du règne animal, l’homme a des responsabilités à prendre allant au-delà de la simple prise de conscience, même si elle est un premier pas. Si l’homme n’en est pas capable, alors une vieille amitié de 14 000 ans s’éteindra peu à peu et si l’on tire quelque peu le fil, ce sont les rapports d’humains à humains qui sont également en déliquescence. Protéger les biens communs, agir en responsabilité envers toutes entités vivantes sont plus que nécessaire avant que l’on franchisse un point de non-retour.
Photographie à la Une © Tanguy.
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