Mettre à nu les relations humaines.
En s’emparant du texte d’Annie Ernaux, Passion simple, Émilie Charriot transmet de façon délicate et forte sa propre passion au théâtre et à l’autre. Elle s’adresse ici et maintenant au public qui devient son partenaire dans un temps dont on ne sort pas indemne.
Créé à Vidy – Théâtre de Lausanne, Passion simple marque l’aboutissement d’un cycle pour Émilie Charriot. King Kong Théorie d’après Virginie Despentes, Le Zoophile d’après Antoine Jaccoud ont été les deux premières phases d’un triptyque qui s’est dessiné au fur et à mesure du temps qui passe. Ce que peut entendre Émilie Charriot dans les mots d’Annie Ernaux est le fait que l’auteure parle d’une passion amoureuse qu’elle a eue pour un homme. Passion qu’elle met en parallèle avec son propre rapport à l’écriture comme étant une possibilité de retrouver cette passion. L’écriture lui permet de revivre des instants passés mais aussi de laisser une trace. L’auteure a un rapport passionné à l’écriture, tout comme la metteure en scène possède sa propre relation passionnée au théâtre. Les deux femmes se rejoignent dans un endroit tout aussi juste que simple, dans le souci du détail ; dans le texte, la virgule est à sa place et sur le plateau, chacun l’est aussi (les personnes, comme les « artifices » du théâtre que peuvent être la musique ou les lumières).
Passion simple est un peu comme une première pour Émilie Charriot car elle se met en scène elle-même. À l’image d’Annie Ernaux, elle se prend comme objet d’étude et s’expose à la vue de toutes et tous. En allant au bout d’une démarche qui lui est propre et singulière, elle fait entendre une double passion (pour une personne ou pour l’art). En se mettant à nu à travers un spectacle hybride, « indiscipliné », mêlant musique, théâtre et performance d’actrice, Émilie Charriot pose des jalons dont le public peut s’emparer suivant sa propre expérience.
En pénétrant dans la salle où se joue Passion simple, nous sommes tout d’abord baignés dans une ambiance musicale ; une ambiance qui s’imprègne de la disposition toute en finesse d’un rideau d’ampoules donnant une atmosphère chaleureuse et intime. Dans ce qui s’installe comme un prologue, les musiciens Billie Bird et Marcin de Morsier enchainent les interprétations de titres. Tout simplement, tout doucement de Bibie, C’est fatal de Sylvie Vartan, J’attendrai de Dalida ou Idées noires de Bernard Lavilliers se suivent comme un crescendo dans lequel nous plongeons avec une certaine forme de délectation. Si l’on va un peu plus loin, le choix de ces titres n’est pas anodin car chaque chanson est empreinte d’une histoire, souvent lourde de sens pour leurs auteurs / compositeurs.
De là, une toute jeune fille qui assistait tout comme nous à ce concert (à la différence qu’elle était en plateau) prend la parole. Elle narre l’histoire d’une jeune pieuvre puis fait référence au trac. « Devenir folle trois heures avant de jouer » ou « Faire des cauchemars un an à l’avance sur un projet » sont des paroles où toutes ressemblances avec la metteure en scène ne seraient que fortuites ! C’est ainsi qu’Émilie Charriot a choisi de mener sa propre entrée sur le plateau pour porter les mots d’Annie Ernaux. La transposition des âges s’avère juste à la vue de propos intergénérationnels qui peuvent trouver leurs sources dès le plus jeune âge.
Ainsi, on bascule dans cette Passion simple, dans ce temps où il est « anormal » de vivre une passion, dans cette interrogation d’une présence ou d’une absence, dans le manque, dans l’attente, dans le conditionnement d’une vie par l’autre, dans une forme d’obsession… Tout n’est qu’à interroger le réel de relations que nous avons chacune et chacun dans une culture qui nous apparaît comme légitimement personnelle.
Émilie Charriot dénude totalement les propos en les exposant au public. L’échange créé, qu’il soit charnel, sexuel ou émotionnel, fait naitre une connexion – mise en vis-à-vis de celle de la relation amoureuse – évidente où le lien est bouleversant, extrêmement fort si tant est que l’on ose se regarder en face l’un et l’autre. Chacun a une part de chemin à faire.
Photographie à la Une © Agnès Mellon.
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