Un duo qui mérite d’aller plus « loin ».
Le travail de Laetitia Dosch, Hate, créé à Vidy – Théâtre de Lausanne, présenté au Printemps des Comédiens de Montpellier en 2017/2018 et qui est, notamment, programmé à La Bâtie – Festival de Genève ou au Festival d’Automne en 2018/2019 se révèle être un duo qui mérite d’aller plus « loin ».
Femme de cinéma et de théâtre, Laetitia Dosch détonne régulièrement par son style, sa personnalité qu’elle affirme presque envers et contre tout. À lire les mots de la comédienne concernant Hate, construire ce spectacle avec Corazon, un cheval, lui « semblait être le partenaire idéal pour faire un spectacle sur maintenant ». Pourquoi pas, et il ne s’agit pas là de juger un choix ou une envie propre à l’artiste car l’animal mis en jeu dans un spectacle s’avère assez rare : on peut penser à Bartabas et son théâtre équestre, à Émilie Charriot et « son » âne dans Le zoophile ou encore à des propositions plus controversées comme celles de Rodrigo Garcia ou encore de Jan Fabre qui ont pu faire « scandale » auprès des ambassadeurs de la cause animale. En tout état de cause, Hate se situe à un juste endroit car Corazon joue son rôle avec toute la bienveillance qui peut être donnée. Dans ce travail, la recherche de l’innovation, de la représentation en plateau sur un ou des sujets donnés est un des axes qu’il est nécessaire d’aborder. Faisant fi des conventions théâtrales – si tant est qu’elles demeurent encore – Laetitia Dosch les franchies avec justesse dans sa démarche.
La comédienne se place d’égal à égal avec le cheval. Étant tout d’abord dans le public, elle se dirige vers le plateau et se dénude. Sa nudité est très vite évacuée car encore une fois, elle est à son juste endroit. Pas d’extravagance, si ce n’est quelques mots, aucune exhibition, elle est simplement elle. Une femme, qui a 38 ans et qui fait en quelque sorte un état des lieux du monde dans lequel elle vit. Le monde va mal – soyons-en conscient.e.s – les conditions sociales, les contextes géopolitiques, les guerres, les migrations engendrées, les tragédies climatiques, leurs futures migrations engendrées, etc. le monde va mal. Laetitia Dosch le dit et le pose et on ne peut que le partager avec elle. Que sommes-nous en train de faire ? Où se place notre degré de conscience, etc. ? Ces interrogations doivent être posées et le spectacle vivant dans son rapport de corps à âme est un vecteur nécessaire. En cela, Hate est une belle proposition.
Toutefois, Laetitia Dosch, en se livrant dans une part d’intimité qui relève bien entendu également de la fiction, se met en danger. Ce danger est une zone qu’elle explore et qui révèle également toute sa fragilité car il s’agit de dépasser l’endroit du récit personnel/fictionnel pour aller plus « loin » en ayant parfois plus de distanciation possible. Chacune et chacun perçoit ce qu’il peut et ce qu’il veut suivant son propre vécu et ses propres opinions. À lire Laetitia Dosch, une partie du spectacle change à chaque représentation selon la liberté que peut prendre Corazon et qu’elle peut aussi elle-même prendre dans ce que l’on peut percevoir comme des temps d’improvisation où seul son chemin est tracé.
Hate fait donc une tentative de constat de l’état des sociétés. Ce spectacle interroge aussi notre rapport à l’autre, dans son équité (le spectacle aurait pu s’appeler « Équité » comme il en est fait mention dans la représentation) et par la projection des images proposées, on est amenés à s’interroger dans notre propre intime, dans notre propre perception. Hate semble être en mesure d’évoluer au fil des représentations afin de gagner en puissance dans ce qu’il peut véhiculer.
Image à la Une © Dorothée Thébert Filligert.