This is how you will disappear

This is how you will disappear - Seldon Hunt

De troublantes esthétiques des contraires.

L’ouverture de la 39ème édition du Festival de La Bâtie se fait par le biais de deux femmes incontournables du spectacle vivant : Angélica Liddell que l’on retrouve à La Comédie de Genève et Gisèle Vienne au Théâtre de Carouge.

Lorsque l’on entre dans le Théâtre de Carouge, l’atmosphère est chaude, moite voire pesante. Si l’on se rapproche quelque peu de la scène, les sens commencent à s’éveiller, ne serait-ce que l’odorat qui perçoit des effluves de feuilles, de mousses ou de différentes essences d’arbre.
Derrière le rideau se cache une forêt. Lorsque celui-ci se lève, elle apparait saisissante de vérité ; la reconstitution sur le plateau et dans les sonorités est sans équivoque. Cet espace boisé rappelle la peinture romantique du XIXème siècle, notamment le courant allemand au travers de certaines œuvres de Caspar David Friedrich.
La forêt est un personnage à elle seule, utilisée depuis la littérature médiévale comme un endroit où les contraires se rencontrent, elle est le lieu de tous les possibles, de tous les imaginaires et de toutes les réalités. Elle a ce pouvoir de métamorphose en étant d’abord un lieu agréable et sain qui prendra petit à petit un caractère plus sombre et inquiétant.

La jeune athlète incarne la beauté, elle s’entraine dans une quête de perfection sous le couvert de son entraineur garant de l’autorité, du respect du corps et du travail sur le mental. Mais le contrôle de soi, la recherche de l’exigence n’est pas sans cacher un rapport quasi tyrannique qui précipitent les valeurs et les sentiments dans une certaine forme de déperdition.
Le surréalisme prend le pas, la forêt se transforme lorsque les sculptures de brume de la japonaise Fujiko Nakaya envahissent la salle dans une épaisse et somptueuse nappe de brouillard, un vent glacial signe d’une nature (humaine ?) peu rassurante.
Les choses ont l’air de se précipiter mais cette apparition trouve une explication rationnelle avec l’apparition d’une jeune rock-star tourmenté, incarnant, lui la beauté liée à un monde qui s’écroule. Cet homme suicidaire cherche l’exil, une forme de rédemption après qu’il ait assassiné une femme. Sa rencontre avec l’entraineur lui sera fatale, serait-ce là une possible délivrance ?
Les personnages ne semblent pas être capables de formuler ce qu’ils recherchent mais c’est au moment charnière où l’ordre rencontre le chaos, où le contrôle s’articule avec l’abandon, que les contradictions se manifestent.

On passe allègrement du réalisme au mythique contemporain. Les compositions musicales de Stephen O’Malley rentrent en harmonie avec ces êtres, avec les sculptures de brume, avec le texte de Dennis Cooper, minimaliste mais où chaque mot a son poids. Tout est étroitement lié dans un même mouvement.
L’ univers de Gisèle Vienne est singulier ce qui n’est pas sans déstabiliser le spectateur qui peut être plongé dans une interrogation intime dès lors qu’il se laisse happé par This is how you will disappear qui est une véritable expérience physique et sensorielle où violence, force et sombreur s’entremêlent ; où les esthétiques contraires s’articulent comme une nécessité.

Photographie à la Une © Seldon Hunt.

Kristina D'Agostin

Rédactrice en chef de Carnet d'Art • Journaliste culturelle • Pour m'écrire : contact@carnetdart.com

Be first to comment

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.