Transdisciplinarité et héritage

« Se rappeler qu’un tableau, avant d’être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées ».

Cette formule célèbre de Maurice Denis, peintre du mouvement artistique nabi, a été retenue comme la première définition donnée à l’art moderne. André Malraux aimait à citer cette phrase dont il partageait en partie la vision.

L’un des penseurs français, qui a le plus fait dialoguer entre elles les œuvres des différentes cultures de la Terre, parle « du plus vieil effort qu’ait poursuivi l’humanité pour donner un sens à l’univers. » Malraux définit dans Ma Métamorphose des Dieux la relation entre l’homme et son destin vue au travers des arts en termes de temps, de beauté et de présence. Les premières apparitions des musées en Europe à la Renaissance donnent une nouvelle relation avec les œuvres d’art en les délivrant de leur fonction première : « Un crucifix roman n’était pas d’abord une sculpture, Madone de Cimabue n’était pas d’abord un tableau », « la statue sacrée est une figure délivrée de l’apparence comme le temple est un lieu délivré du monde qui l’entoure » et que « l’idée qu’on pût un jour réunir leurs œuvres dans un musée pour considérer leurs volumes ou leurs lignes », les artistes du Moyen-âge « n’eussent pu la concevoir que comme une profanation ». Les créations artistiques devaient toujours ressembler à l’image du visible ou de l’invisible. Or, pour un musée, les objets qui se trouvent exposés sont confrontés en tant que tels à par l’intellectualisation de notre relation à l’art. Pour Malraux, l’homme recrée le monde face à Dieu et conquiert par l’art le sens de sa vie contre l’oubli et la mort.

L'assomption à la Vierge - Nicolas Poussin

L’assomption à la Vierge – Nicolas Poussin

Un langage.

Depuis l’Antiquité, les penseurs s’interrogent sur la nature de l’art, qui est le propre de l’homme. Même plongée au cœur d’une grande crise économique, aucune société n’a pu se passer de la création artistique. On le définit comme un langage à part entière dont le but final est décoratif, musical, manuscrit, religieux ou politique. Miroir des époques, il varie selon les lieux et les sociétés humaines. Pour Marcel Mauss, « un objet d’art, par définition, est l’objet reconnu comme tel par un groupe ». Entre le XVIIIème et le XIXème siècle, le bon goût prédomine dans les choix des œuvres à réaliser. L’art moderne et contemporain, en rupture avec les autres époques, diffère en abandonnant la notion d’intemporalité pour d’autres idées de transgression qui bouleverseront véritablement le style des œuvres. Depuis la préhistoire jusqu’au début du XXème siècle, l’art a toujours été figuratif, « un mode d’apparition de la vérité » selon Heidegger, malgré la découverte des paramètres d’infiniment grand et d’infiniment petit qui contribueront à imposer aux artistes le problème de la représentation jusqu’à la naissance de l’abstraction voilà cent ans. L’art s’est toujours constitué des règles afin de mieux pouvoir s’en libérer, d’où sa perpétuelle évolution. Hegel affirmait que l’art était l’un des trois éléments de l’Esprit absolu : l’art, la religion et la philosophie, car ils doivent le moins à la nature. La vitalité de l’Esprit absolu, doit se manifester dans la force créatrice. Galien déclare que « L’art est le système des enseignements universels, vrais, utiles, partagés par tous, tendant vers une seule et même fin ».

L'atelier aux mimosas de Pierre Bonnard

L’atelier aux mimosas de Pierre Bonnard

L’Histoire.

Pendant des siècles, l’œuvre d’art en tant qu’objet n’avait pas cette détermination de création purement artistique. L’art des civilisations anciennes du Paléolithique serait l’empreinte des premières croyances humaines qui ont joué un rôle important dans les rituels des communautés. L’art byzantin au IVème siècle après Jésus-Christ fit entrer la création au service du christianisme par la production d’icônes symbolisant le visible. Mais la pensée que le visible est plus important que l’invisible n’était pas envisageable à cette époque et provoqua de fortes tensions dans les communautés. L’islam né en Méditerranée orientale était enclin aux mêmes croyances iconoclastes et développa un art perse au réalisme stylisé. L’art japonais ancien était lié au bouddhisme, apparu au VIème siècle avant Jésus-Christ. Au IXème siècle, alors que le pays se détourne de l’influence chinoise fondée sur la philosophie confucéenne, l’art profane grandissant fit de la peinture la tradition artistique dominante de la société japonaise. Dans l’Europe du XIème au XIIème siècle, l’Église, dans un contexte de monopole sur la vie intellectuelle et artistique, exerce son pouvoir sur l’art roman. La prise victorieuse de Jérusalem lors de la première croisade marqua la civilisation tournée vers la projection de Dieu. Dans l’horreur de l’Inquisition, le Pape Innocent IV ordonne à Saint Louis le brûlement de tous les exemplaires du Talmud en place de Grève à Paris et avec ce massacre par le feu, la disparition d’anciens manuscrits sacrés. L’époque médiévale met en évidence le grand essor de l’art gothique avec des bâtiments religieux colossaux comme les cathédrales sous le vocable de Notre-Dame. La spiritualité célébrée au culte de Marie devient l’emblème du monde. Jusqu’à la Renaissance, un artiste se nomme artisan et se définit par le jugement de la qualité remarquable de ses créations. La notion d’art admise aujourd’hui n’est apparue qu’au siècle des Lumières. Du XVème jusqu’à la fin du XVIème siècle, l’art occidental au cours de la Renaissance exercera une immense influence sur la peinture et sur la sculpture à travers le monde avec trois courants : italien, français et flamand. Au Moyen-âge, la production artistique est tournée vers la religion chrétienne, tandis que la Renaissance du XVIème siècle centre son inspiration autour d’une image de l’homme tendant à sa perfection. D’illustres personnages, comme Michel-Ange avec La Pietà du Vatican ou Rembrandt avec La fiancée juive, sont engagés par des mécènes qui rivalisent pour s’assurer de leurs services. Le XVIIème siècle rencontre des changements primordiaux qui s’étendent sur toute l’Europe. La persécution des protestants modifiera l’art et la propagande religieuse catholique exigera alors des artistes une production d’œuvres avec une exactitude dans la description des épisodes bibliques. La Hollande protestante, au même moment, exige un art différent et strict qui fait l’éloge de la dignité de la vie civile. Au XVIIIème siècle, l’Europe prend conscience de son histoire artistique et offre alors de grandes disparités. Avec l’évolution de la société européenne vers la mécanisation, l’art européen se tourne vers le romantisme. Un mouvement culturel passionné par lequel se distingueront Hegel, Rousseau ou Lamartine. Le romantisme prend clairement parti pour la nature contre la société et la machine, pour l’émotion contre la raison. L’art moderne arrive au XIXème siècle avec la rapidité des grands bouleversements. Le marché de l’art s’internationalise. L’invention de la photographie ouvre un débat sur le rôle de l’art représentatif et offre aux peintres de nouvelles perspectives.

Le baiser de August Klimt

Le baiser de August Klimt

Le XXème siècle.

Avec son Nu descendant un escalier, Marcel Duchamp prend en compte l’influence de la photographie instantanée. Au début du XXème siècle, l’art occidental traverse une phase qui renverse les frontières de toutes les formes artistiques connues : le cubisme et l’abstraction ouvrent de nouvelles voies de compréhension du monde. Pablo Picasso dévoile Les Demoiselles d’Avignon, que l’on considère comme le premier tableau cubiste. La Grande Guerre réintroduira par sa tragédie le mécénat d’État avec des artistes de guerre. Après la Première Guerre mondiale, le monde artistique et littéraire connaît une crise qui modifie les règles du temps et de l’espace. L’art moderne (Le Corbusier, Villa Savoye) et le surréalisme (Dali, La Persistance de la mémoire) font leur entrée. Les dictatures européennes, en pleine ascension, rejettent l’art moderne, considéré comme bourgeois, préférant soutenir une forme destinée à célébrer l’État. L’art moderne devient alors un symbole de la démocratie capitaliste libérale. Après la Deuxième Guerre mondiale, le malaise que ressentent certains artistes dans une société de consommation conduit à des ruptures radicales telles que le tachisme ou encore le Pop Art. Les arts au XXIème siècle prolifèrent avec deux mouvements : la performance et l’art conceptuel. Les artistes de la performance cherchent à réaliser des œuvres qui ne soient pas des objets en mettant en scène le corps de l’artiste pour rompre avec les techniques dominantes de la peinture et de la sculpture. Au travers de cet art, ils énoncent la différence culturelle ou ethnique dans une culture planétaire où le dialogue est ouvert à tous et à tout moment, en permanence. Notre regard sur les œuvres d’art a changé : dans ce déluge visuel quotidien au travers des publicités, des Smartphones ou des téléphones portables, l’homme du XXIème siècle tend à concevoir l’image comme une parmi tant d’autres. Pourtant, chaque œuvre mérite une approche différente et une compréhension profonde. « L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible une vision secrète… L’art joue sans se douter avec les réalités dernières et néanmoins les atteint effectivement. De même qu’un enfant dans son jeu nous imite, de même nous imitons dans le jeu de l’art les forces qui ont créé et créent le monde… L’artiste crée ainsi des œuvres qui sont à l’image de l’œuvre de Dieu » (Paul Klee).

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