Un cheveu dans la chorba

Pour l’enfant que j’étais, la beauté appartenait à celles qui avaient les cheveux lisses. Comment pouvait-on imaginer qu’une fille qui n’ait pas les cheveux lisses puisse être belle ?

Des cheveux raides, droits comme des i, ondulés, vaporeux, soyeux, qui tombent sur des épaules frêles. Des cheveux fins, des cheveux blonds, des cheveux longs, des cheveux qui sentent bon. Les cheveux de Fanny étaient ainsi ; lisses, raides, ils nourrissaient mes rêves de petite fille. Je rêvais d’avoir ses cheveux. Leurs reflets moirés, leur finesse et leur douceur m’émerveillaient. Ils avaient selon elle la fâcheuse habitude de s’emmêler. Ce qui pour Fanny s’apparentait à un inconvénient majeur, et souvent un calvaire quand il fallait les démêler, représentait pour moi une aubaine, un don du ciel. Je rêvais qu’un jour, mes cheveux s’emmêlent.

Mais ils étaient tout le contraire, ils restaient côte à côte sans se croiser ; crépus, rigides, ces minuscules ressorts ne bougeaient jamais. Quand la moindre brise soulevait les fines mèches de Fanny, mes cheveux résistaient au mistral et à la tramontane, ils faisaient front, impénétrables. Solidaires, ils formaient une muraille infranchissable. Ni barrettes, ni chouchous, ni puces — petites perles de bois que les filles attachaient à leurs tresses dans les années 80 — n’avaient de prise sur mon édifice capillaire… Zéro fioriture sur le mur de mes lamentations. Les dieux capillaires s’étaient penchés sur le berceau de Fanny pour la doter de cheveux d’anges. Moi, les cheveux d’anges, je les avalais dans la chorba.

J’avais un physique à part, dans la petite ville du Sud de la France où j’ai grandi aux cotés de Fanny et entourée de ma nuée de copines aux cheveux lisses. Non conventionnelle, je ne correspondais pas aux critères de beauté, j’étais ce que l’on avait coutume de dire « typée ».

Les années passèrent et ma masse capillaire franchissait les étapes de la vie, de la petite enfance à l’adolescence, sans grand bouleversement. Parce que la gravité n’avait aucune prise sur mes cheveux — ils poussaient en hauteur, comme les végétaux — on me les taillait une fois par mois. Quand la crème défrisante miraculeuse débarqua en France, un espoir s’éveilla… Aussi, j’allais régulièrement appliquer cette pommade à la soude et, à force de brushings et de ténacité, mes cheveux devinrent enfin lisses et longs. Ils étaient conformes à ce que l’on attendait d’une jeune femme. On n’allait plus me prendre pour un garçon, et peut-être même que j’allais leur plaire…

Je fis l’expérience tangible de l’attrait que je pouvais provoquer quand je partis vivre au Caire pour y suivre une année d’étude. À vingt ans, je débarquais dans la mégapole africaine, avec toute ma francité, ma jeunesse, mon allure typée, et ma chevelure lisse. Pourtant là-bas, je n’étais pas française, je n’étais pas du Sud de la France, je n’étais pas « typée ». J’étais, aux yeux des hommes égyptiens, une arabe, plus précisément une tunisienne (de par mes origines). J’étais une arabe occidentalisée qui parlait parfaitement le dialecte égyptien, avec des cheveux lisses et des formes physiques avantageuses : le bassin méditerranéen se dessinait sous ma taille.

Je réunissais ainsi tous les critères qui faisaient de moi un canon absolu aux yeux de ces hommes et chacune de mes sorties en ville provoquait des révolutions. Quant aux femmes, beaucoup me regardaient d’un mauvais œil ou m’incitaient à cacher mes cheveux. Ma chevelure devenue lisse, dans ce pays, avait fini par me rendre rebelle, au point que je finis par me la tondre, comme un mouton. La boule à zéro, dans les rues du Caire… voilà une expérience que je ne suis pas prête d’oublier, entre regards alarmistes, crachats et peurs : on me croyait malade, ou peut-être même folle à lier, on tournait la tête ou l’on se moquait de moi. L’image d’une jeune femme portant la boule à zéro avait quelque chose de diabolique.

Mes cheveux repoussèrent doucement au fil des semaines, et pour ne pas heurter la sensibilité des mes « hôtes », je finis par porter un foulard noué à l’africaine. Depuis cette « tonte cairote », mes cheveux ne sont plus jamais redevenus longs, ni lisses.

Les voilà aujourd’hui au stade du buisson, comme quand j’étais enfant, mais légèrement argenté. Il n’empêche, et quoiqu’on en dise, je les trouve beaux, mes cheveux. Aujourd’hui, je repense à ma grand-mère qui glissait ses doigts dans les minuscules ressorts en disant : « Chaarek khouatem dehab », tes cheveux sont comme des petites bagues en or.

Photographie à la Une © Isabelle Serro.

1 Comment

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    Répondre août 13, 2017

    Debra

    Petite blanche de la côte est des U.S., je me souviens bien des tortures toutes relatives que j’ai subies pendant mon enfance et adolescence afin de donner un peu d’ondulation à mes cheveux… lisses, très lisses, qui le sont restés, d’ailleurs.
    Les bigoudis sur lesquels je dormais la nuit, les séances interminables avec l’instrument pour friser les cheveux, quand c’est arrivé sur le marché.
    Tout cela pour satisfaire aux normes de beauté de l’époque, pour plaire plus à maman qu’aux hommes, d’ailleurs. Maman était bien plus difficile à satisfaire que le moindre homme, probablement.
    Maintenant qu’ils restent tout aussi lisses, et que j’ai trouvé la coupe qui les met en valeur depuis plus de 20 ans, je leur applique un henné tous les mois pour cacher le gris que JE n’aime pas.
    En attendant qu’ils deviennent tout blancs…

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