Valère Novarina

Les matières de la chair.

Valère Novarina, le Grand Format Novarina à Bonlieu Scène nationale Annecy du 1er au 7 mars 2016.

On se souvient de la fameuse phrase de Winnie dans Oh les beaux jours de Beckett : « Assez les images ». Cette injonction, Valère Novarina l’a toujours entendu et c’est pourquoi – paradoxalement peut-être, mais afin de venir à bout des images jusque dans sa peinture – il a fait fondre la langue en l’entraînant non dans l’effacement mais dans une course folle, décomplexée. Elle est illustrée à Annecy avec quatre textes de l’auteur : Le vivier des mots, Pour Louis de Funès, Homo Automaticus, Le discours aux animaux. Novarina – plus particulièrement dans ce dernier texte – évite tout logos et langage didactique : il se laisse aller loin des couches asphyxiantes du sens. Le dramaturge thaumaturge troue la langue, la libère en lui inoculant tous les virus possibles de l’humour par glissements de sens, par série de bubons. Il ne s’agit pas pour autant au sein de cette prolifération d’un cancer qui atteindrait la langue, car ici « la maladie de la langue », Duras ouvre non des plaies mais des trous sanitaires. Elle laisse suinter les pus et autres liquides pourris de significations prévisibles, pré-formatées.

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Chaque texte reste donc un abîme du sens, la sodomie du Père et de tous les re-pères. La chair de l’homme – pour reprendre un de ses titres – est à ce prix. Ce qui ne veut pas dire pour autant que le verbe se fait chair. Tout le contraire même : il ne présente que ce trou où se déverse ou plutôt se révulse une histoire qui nous bouleverse à coup de répétitions, d’ictus – chaque fragment d’un texte reflétant son ensemble en perpétuel mouvement. Tout fonctionne au nom de la variation là où la matière redevient poussière. Chaque mot comme chaque image n’est donc que ce qu’en disait déjà Diderot lorsqu’il écrivait : « dans mon imagination, elle n’est qu’une ombre passagère ». Mais cette ombre possède la capacité à devenir un lieu, une impersonnelle et inquiétante zone du vivant là où le sens bascule : surgit une sorte de joie imprévue et qui jusque là était constipée sauf chez de rares écrivains (Joyce en premier) où elle se laisse aller dans ce que Beckett a justement nommé une « foirade » au sens premier du texte (perte fécale).

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