Albertine, en cinq temps

Tremblay admiré, Tremblay momifié.

C’était aux Célestins, du 5 au 7 novembre, que l’on découvrait ce que la vénération a d’improductif. À trop aimer le texte, à trop ne le mettre qu’en voix, on court le risque de s’oublier dans le sens littéral de la mise en scène.
Démonstration en une heure et demie par Lorraine Pintal, sur Albertine, en cinq temps, de Michel Tremblay.

D’être touchée à toucher.

Lorraine Pintal le confie sans détours : elle a été happée par le texte de Tremblay. Il faut la comprendre ; c’est un beau texte, la fragmentation en 5 temporalités d’une femme cabossée, hantée par elle-même, au soir de son existence. Mais à trop être happée, elle semble avoir oublié de partager cette intime préhension.

Elle met en place, sur une musique instrumentale enregistrée (Ah ! la musique enregistrée au théâtre…) et dans un espace pluriel, sorte de condensé esthétique de différents lieux de vie, l’échange verbal d’Albertine avec ses quatre autres personnalités, suivant les âges de sa vie, ainsi qu’avec sa sœur. Mais ne va pas plus loin. Il n’y a qu’une mise en place. Une fois chaque Albertine campée dans son lieu et son temps, ça se parle, ça se penche, ça se touche de temps en temps… Mais ça ne communique pas vraiment. Les murs temporels qu’élève la scénographie semblent bloquer les actrices, les empêcher d’accéder à ce tactile du plateau, à cette communion des acteurs.

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Si, globalement, les actrices sont satisfaisantes, on se demande comment elles ont été dirigées, plantées, droites, raides et lisses. Bien trop lisses. Alors que les émotions dégagées par le texte s’enchaînent, chaque actrice utilise une palette réduite d’expressions, voire, par moment, oublie de l’utiliser. Déception notable de la part de Monique Miller, parfois brillante et touchante, parfois vide et comme échouée sur un plateau dont elle ne sait que faire.

De lire à lire.

On a donc, sur une jolie scénographie clivée, 6 actrices qui se parlent, s’émerveillent en regardant des oiseaux s’accoupler et soupirent les unes des autres. Et on n’a guère plus. D’un niveau inégal, la pièce parvient parfois à décoller vers quelque chose d’intéressant, avant de retomber dans cet hommage un peu niais au texte. Le temps est long. Les interactions ne se créent pas. Par moments c’est drôle, par moments ce serait presque choquant (si seulement !), mais, derrière ce déni de mise en scène, on sent le texte qui palpite, qui veut crier, qui veut parler — aphone, étouffé par trop de déférence et de prestations de conservatoire, il se tait.

Le spectacle semble une accumulation de strates : sur le texte de l’auteur se trouve la scénographie, la musique, les actrices. Mais le travail de mise en scène, qui est de faire communiquer, fusionner, se compénétrer ces strates demeure absent : les strates supérieures écrasent le texte. Jusqu’au final pathétique, où les Albertines enfin réunies (que de bien-pensance dans cette fusion finale !) revêtent gauchement des manteaux rouges en parlant d’un cadavre baigné de sang alors que la scénographie se décompose, par naïveté et déni d’audace.

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