Autant en emporte le temps

Autante en emporte le temps

la conquête de l’homme.

« Si je jette la vue devant moi, quel espace infini où je ne suis pas ! Si je la retourne en arrière, quelle suite effroyable où je ne suis plus, et que j’occupe peu de place devant cet abîme immense du temps. », Sermon sur la mort, Bossuet, 1662.

A la mesure de ses instruments.

Depuis l’aube de son histoire, l’humanité n’a eu de cesse de s’approprier et de structurer la fuite du temps en dotant celui-ci d’instruments pour le mesurer. Le dompter, l’ordonner, le matérialiser, le sacraliser : le temps a toujours été un défi pour l’homme, conscient du caractère éphémère de son existence. Pascal écrivait « L’homme est grand en ce qu’il se connait misérable ». En le maîtrisant, l’être humain garde sa dignité.

Une flèche tendue entre le passé et l’avenir.

Du pieu planté dans la terre dont on suit le déplacement de l’ombre, en passant par le sablier, des clepsydres jusqu’à l’invention de l’horloge atomique et son temps universel coordonné, un nombre considérable de systèmes ont été imaginés et construits depuis des millénaires. Cette évolution témoigne du génie humain à observer l’univers, utiliser les éléments qui se présentent à lui, développer des sciences mathématiques, astronomiques et en concevoir des outils pour le calculer. « Le soleil est la plus grande horloge du monde », écrivait Voltaire.

Le jour, le mois, l’année.

L’homme distingue d’abord le jour et la nuit. L’alternance du lever et du coucher du soleil produite par la rotation de la Terre sur elle-même. Il remarque les phases de la Lune, de la nouvelle jusqu’au dernier quartier. Il observe les ombres qui diminuent le matin et augmentent l’après-midi. Il contemple le ciel, repère ces constellations et comprend le mouvement des planètes. Enfin, l’homme perce le mystère de la rotation de la Terre autour du soleil en un cycle annuel, découpe les saisons, les équinoxes et les solstices. Le calendrier est né et avec lui la première forme de temps social. Reliant le temps cosmique au temps vécu, le temps calendaire devient selon le philosophe Paul Ricœur, « un tiers-temps ».

De nature économique tout d’abord, à visée pragmatique et quotidienne, les calendriers déterminent la réussite des cultures en régulant le travail aux champs, de la semence à la récolte mais aussi celui de l’élevage et assurent ainsi la survie des populations. Ces rythmes astronomiques élaborés par des savants, astronomes, mathématiciens et philosophes ont une importance capitale pour chaque civilisation. Quelle soit sumérienne, chinoise, grecque ou romaine, chacune invente son propre calendrier lunaire puis solaire avec le même ordre établi : le passé en arrière, le futur en avant et l’introduction des rites et des cérémonies.

En Amérique du Sud, quatre à six mille ans avant notre ère, des cadrans solaires et des sites d’observation astronomique dont le très médiatique calendrier à roue maya ont été construits puis retrouvés par les archéologues, témoignant du besoin fondamental qu’éprouve l’homme à conquérir le temps. La combinaison des deux computs longtemps utilisée cède au VIème siècle à Athènes avec la réforme de Clisthène qui introduit un temps en plus, politique celui-là.

Le temps politique.

Le calendrier évolue au fil de l’histoire et des évènements politiques. La période de la révolution française par exemple, fait apparaître une nouvelle nomenclature de calcul des jours et des mois. Conçu selon le poète Fabre d’Églantine, le calendrier révolutionnaire entre en vigueur le premier vendémiaire an I qui correspond au 22 septembre 1792. Il sera utilisé jusqu’en 1806 en remplacement du traditionnel calendrier grégorien. Quand l’histoire s’emballe sous l’action des hommes, selon Walter Benjamin dans son célèbre texte Sur le concept d’histoire : « les classes révolutionnaires ont, au moment de leur entrée en scène, une conscience plus ou moins nette de saper par leur action le temps homogène de l’histoire […]. Le jour qui inaugure une chronologie nouvelle a le don d’intégrer le temps qui l’a précédé […] ».

Le temps de Dieu.

L’homme partage jusqu’au Moyen-âge les heures, en douze pour le jour et douze pour la nuit. Mais confronté à l’inégalité des durées, différentes entre l’été et l’hiver qui rendent les heures imprécises, les couvents et les monastères imposent les heures canoniales et créent synchroniquement des cadrans solaires gravés sur le mur sud des églises ou des chapelles. Simples et épurés, ils fragmentent la journée au rythme des prières et louanges au Seigneur. Cette nouvelle façon d’établir le temps en Europe en l’articulant en périodes correspond aux sept offices selon la règle de Saint Benoit : laudes, prime, tierce, sexte, none, vêpres et complies. Le temps devient alors religieux ponctué d’évènements commémoratifs, de rites et de cérémonies en lien avec la vie pour chaque religion. C’est ainsi que le 5 mai 2013, pour la première fois en Terre Sainte, catholiques et orthodoxes ont fêté Pâques ensemble selon le calendrier Julien. Les communautés des territoires de Jérusalem et Bethléem continueront à suivre le calendrier grégorien pour respecter les dispositions de statut-quo imposées dans les lieux saints et préserver celui de forte affluence des pèlerins à cette période. Une belle démonstration d’entente entre communautés religieuses et de respect entre différents temps calendaires existants.

Le temps présent.

L’homme perçoit fréquemment le temps comme une ligne, reflet de sa propre finitude, inéluctable. Même s’il se soumet aux cycles de la nature, il confère au temps un début et une fin : « Rendre l’homme, maître et possesseur de la nature », écrivait Descartes. Jusqu’au XVIème siècle, l’homme occidental éprouve une certaine familiarité pour la mort. Cette emprise de la mort sur la vie et l’inquiétude qui en découle, tend à les pousser vers l’instrument principal, le temps. Les œuvres d’art traduisent cette quête d’éternité des hommes face à leur destin. Edward Munch peint Entre l’horloge et le lit deux semaines avant sa mort. La volonté des peintres de figer la beauté éternelle des personnages sur la toile conditionne certaines œuvres qui voyageront à travers les âges du temps sans aucune ride.

Selon plusieurs penseurs contemporains, notre époque se distinguerait par la toute-puissance de la vitesse, l’accélération. Selon le philosophe Paul Virilio ou le sociologue Hartmut Rosa, plus nous sommes équipés d’appareils technologiques censés nous faire gagner du temps, plus l’homme a le sentiment d’en manquer. Notre vie quotidienne serait marquée par l’urgence, que ce soit dans les relations sociales, dans la vie intime ou en politique. Le triomphe de l’instantané rendrait impossible la vie au présent.

Les calendriers sont désormais figés dans la plupart des civilisations actuelles, ne représentant plus vraiment d’enjeux politiques en opposition à l’emprise totale du temps sur l’homme occidental.

Les artistes contemporains invitent par leur regard sur le temps à une réappropriation personnelle et à son ré-apprivoisement par l’homme. Ils figent le temps, soulignent son caractère apprivoisé et son écoulement uniformisé. Une série d’œuvres d’On Kawara intitulée Date Painting est là pour en témoigner.

Laissons le temps faire son œuvre et n’oublions pas que « le temps peint aussi », Renoir.

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