Le rien et après.
« Post-Minimalisme et Anti-form » : dépassement de l’esthétique minimale aux Éditions Skira, 59€, disponible en librairie.
L’usurpation de certains concepts plus ou moins éthérés permet à tout théoricien ou critique de penser étalonner la création. Cela date de l’origine : d’Héraclite, de la naissance de la philosophie puis de celle du Cogito. Ces naissances sont nos pires cauchemars. Alain Jugnon l’a rappelé ; « Lorsque je pense que je suis, je sais tout ce que je suis et cela ne dit rien des autres ». Et en art comme ailleurs l’être reste perdu et à la recherche de repères. C’est pourquoi les codes esthétiques lui vont même qu’ils restent élastiques à souhait, accommodables à l’infini. Aucune limite ne semble pouvoir arrêter les délires de logos aux torsions expérimentales. Néanmoins Claudine Humblet remet les pendules à l’heure s’agissant du « Post-Minimalisme » et de l’ « Anti-form ». Elle explique comment se produisit chez certains artistes le dépassement de l’esthétique minimaliste première.
Son livre est pertinent car il se nourrit non seulement de ses connaissances mais aussi de ses rencontres avec les artistes d’un art qui s’édifie d’abord dans années 60-70 et réunit un certain nombre de créateur. Ils demeurent souvent méconnus en Europe. C’est le cas d’Eva Hesse, décédée très jeune, de Keith Sonnier qui récrée son propre langage formel, de Gary Kuehn, Lynda Benglis, Rill Bollinger, Alan Saret et – plus connu mais non le moindre – Richard Serra. Tous ces créateurs font clignoter dans les cases et caves du cerveau des lumières intempestives. Et Claudine Humblet montre comment sous le concept « post-minimaliste » se créent des systèmes aux ingrédients aussi radicaux qu’inédits. Ils canalisent l’imaginaire selon divers « impromptus ». Les artistes sont moins les infirmiers d’images que des chirurgiens qui sortent les théories des réflexes automatiques et détruisent les cartes du tendre de l’art plutôt que de la cicatriser.
Le jeu en vaut la chandelle : s’y éprouve l’amour des images et l’intelligence de la création. Elle devient la manière de penser matériellement en habitant le bas-de-casse, le bas de ligne de l’art pour travailler le regard. Manière de prouver que face aux théories qui pensent toujours trop tard s’élèvent des esthétiques en actes. Elles créent des lieux où les pouvoirs se contrecarrent. On ne sait plus qui imprègne qui. Aux questions : Qu’en est-il d’une image ? Quel en est son « esprit » ? jaillissent des réponses particulières là où tout échappe à un beau de décoration. C’est aussi la preuve que les vrais créateurs iconoclastes radicaux anéantissent l’écart entre l’épaisseur des concepts et leur vernis. Ils permettent des mariages obsédants contre « nature » et un changement de paradigme dans l’histoire de l’art et de ses stéréotypes. Par son livre comme les œuvres dont elle parle Claudine Humblet a l’immense mérite de déplacer le regard afin de prouver que l’art ne naît pas objet de désir : il le devient.
Image à la Une © Éditions Skira.