Corps étranger

FILM « Corps étranger » par Raja Amari. Rendez-vous le mercredi 18 avril 2018 à 20h30 au Cinéma La Turbine, Annecy – Cran-Gevrier, pour une soirée Ciné Débat en présence de Raja Amari, réalisatrice du film.

Le cinéma tunisien depuis la révolution du jasmin « s’intéresse davantage aux thématiques sociales et à l’intime qui est universel » a dit Kaouther Ben Hania, l’une des réalisatrices de la nouvelle vague du cinéma tunisien.

Raja Amari n’échappe pas à cette formule et la reprend dans bon nombre de ses films tels que Satin rouge ou Les Secrets. Corps étranger son dernier opus reprend ces thématiques lorsqu’il nous parle de Samia (Sarra Hannuchi) jeune tunisienne ressuscitée du naufrage de son bateau de migrants, mais aussi de son insertion en France et de l’extrémisme islamiste qu’elle a connu à travers son frère qu’elle a dénoncé. Des thèmes ô combien inscrits dans la réalité sociale de son pays. Mais le film va plus loin encore lorsqu’il aborde le choc des rencontres et du désir avec Leïla – Hiam Abbass – mystérieuse veuve parisienne sensuelle et manipulatrice à souhait qui va l’aider et la recueillir chez elle. Toute la réussite du film est contenue dans le mélange de ces ingrédients si complexes à réunir et que Raja Amari sait si bien mettre ensemble et utiliser avec une grande maestria.

Il n’est pas question ici alors de réalisme que le début du film semblait nous proposer mais plutôt de vraisemblance. Parfois la mise en scène se teinte même d’onirisme ce qui permet alors au spectateur de prendre de la distance et de ne pas s’apitoyer sur le sort de l’un ou l’autre des personnages. Les femmes sont en particulier mises en avant dans le désir de s’émanciper pour Samia ou le frémissement de la chair pour Leïla. Tout cela bien entendu avec la présence érotisée du jeune Imed – Salim Kechiouche, acteur solaire – ami des fantômes du passé de Samia, lui aussi émigré qui travaille dans un bar et lui offre protection et bienveillance. Les scènes de rencontres chez Leïla avec Samia d’abord puis entre les trois personnages se multiplient et le trio s’observe, se croise, s’entremêle dans des ballets sensuels voire érotiques mais où le pouvoir reste toujours entre les mains des femmes. Ce sont elles qui décident entre obsessions et fantasmes.

 

Des femmes fortes qui se libèrent des contraintes sociales à l’instar de nombreux personnages de la filmographie de Raja Amari telle Lilia du film Satin rouge interprétée déjà par Hiam Abbass. Le chemin initiatique suivi par Samia va lui permettre de se reconstruire, de prendre conscience de son corps et de sa féminité et nous la suivons dans sa transformation en nous questionnant sur sa vie future et son intégration dans un monde neuf si éloigné de sa vie passée mais confiants dans sa recherche d’une identité enfin mise à jour.

Corps étranger est un film captivant, loin des idées toutes faites et des analyses sociétales que l’on nous donne à voir du Maghreb. C’est un cinéma neuf et universel que nous offre Raja Amari dans son dernier film tant il nous renvoie à nos propres désirs et à notre attachement aux valeurs du monde où nous vivons qu’elles s’appellent solidarité ou liberté.

Image à la Une © Happiness Distribution.

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