Des rives

Des rives

Une première tentative, échouée.
Une deuxième ligne, vide puis rayée. Une cigarette pour combler l’instant, cet instant qui devient multiple, nouveau dénominateur d’un temps qui se fige. Enfin l’idée émerge, faible lueur dans l’opacité des songes, elle devient brasier. Une chaleur nouvelle, vigoureuse, se nourrissant de son propre isolement. Il faut l’extraire, la projeter sur la surface immaculée. L’étincelle jaillit en flots bleus, elle tente de creuser son sillage, de distinguer son ombre pour se convaincre d’exister. Mais la blancheur est affamée, immuable inquisitrice de la non-pensée, elle dévore le songe, le broie, le confronte à son propre vide. L’idée résiste, un temps seulement, puis se laisse absorber. D’elle ne persiste qu’une flaque de sang cobalt, un charnier de lettres disloquées.

Nouveau départ, le regard s’élève, tente de distinguer le réel, d’en extraire la vérité, mais le monde reste muet car l’esprit est sourd. Combat inégal, l’imagination lutte sans raison, l’inspiration existe sans démonstration. Le rêve est là pourtant, il possède l’esprit, s’approprie toute pensée…

traversée houleuse d’une eau sans couleur

Mais alors, comment croire en lui s’il ne peut être expliqué ? Le choix, le choix des mots, la conscience des possibilités, autant de facettes innombrables qui cherchent leur reflet sans qu’aucun miroir ne puisse l’identifier.

Une silhouette se dessine de nouveau dans le brouillard, elle paraît si lointaine, si fragile, elle brille faiblement, lueur chétive qu’il faut piéger. Chaque pas vers elle semble l’estomper, la distance diminue, mais rien à faire, la silhouette s’éloigne encore, inaccessible, puis disparaît. Il faut la pourchasser, simplement parce que la traque est belle. L’acier hésite puis se lance sur quelques longueurs, traversée houleuse d’une eau sans couleur. Il nage à contre courant, à la dérive il passe d’île en île, vogue de ligne en ligne. Mais c’est un navire fantôme, des voiles sans gréement qui ne peuvent capturer le vent. La flotte finira par s’échouer, elle sombre sur la forme sans en atteindre le fond.

Au port des chimères il n’y a plus de départ, seul persiste le souvenir des anciens voyages, des passions épuisées. Les fantasmes dansent sous les yeux clos, spectres oniriques ils entament leur chant funèbre, cette mélodie que jadis on avait chérie, celle qui naît au coin des lèvres. Mais le refrain mélancolique s’épuise, chaque tentative pour le chanter le scelle dans l’oubli. Il y avait pourtant de belles histoires à conter, l’histoire de l’homme, une histoire d’amour qu’on ne peut expliquer. Il y avait cette volonté de transmettre, de recouvrer une dernière fois. Il y eut surtout de nombreuses esquisses ratées, tracées fébrilement à l’encre de chine. La chanson reste hors d’atteinte et il n’y aura pas de rappel.

Quel était le rêve initial ? Aimer sans doute, s’imaginer que c’était possible, que l’inéquation de nos âmes rendait beau le désir. Un rêve étrange, une apparition fugace que nous aimons contempler, immobiles sur les quais. Voir ce rêve prendre le large, le voir s’enfuir avec émotion, entre crainte et regret, mais se contenter d’enfoncer un peu plus nos pieds dans le sable.

Killian Salomon

Rédacteur / Auteur

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