la fin du monde au cinéma.
La glace emprisonne l’hémisphère nord, une comète heurte la planète, une vague submerge l’Himalaya, les extraterrestres brûlent tout sur leur passage… Le cinéma est un art jeune, un peu plus d’un siècle, et pourtant, il se préoccupe sans cesse de sa fin, de la mort de l’humanité et du monde. Si la tendance est particulièrement sensible depuis une dizaine d’années avec le changement de millénaire, le développement des nouvelles technologies ou les problématiques environnementales, elle est néanmoins ancienne. Chaque film cristallise les angoisses collectives et individuelles des sociétés et de leur époque. L’apogée du phénomène a été ressentie dans les dix-huit mois précédant le 21 décembre 2012, fin supposée du monde d’après le calendrier Maya. Pourtant, le terme d’apocalypse, issu du grec ancien, ne désigne pas une décadence, une destruction négative du monde, mais un accomplissement, une révélation divine permettant de s’extraire de l’attache terrestre du monde.
Reflet d’une société et de son époque.
Il est amusant de remarquer que les catastrophes mises en scène au cinéma pour expliquer la fin du monde changent avec l’histoire du cinéma, et l’évolution parallèle des sociétés. Dans les années 1930 aux États-Unis, la dépression économique crée principalement des monstres comme Frankenstein en 1931 ou L’homme invisible en 1933 de James Whale. Chaque monstre est une menace pour la société américaine, donc par extension pour le monde. Dans les années 1950, l‘invasion extraterrestre menace l’humanité, faisant écho, dans le cinéma américain, à la guerre froide, à la peur du communisme, et aux conquêtes spatiales. C’est le début du disaster movie, détruisant à grand coup de laser les symboles de l’Amérique : maison blanche, parlement, etc… Même Steve McQueen reste impuissant dans Danger planétaire d’Irvin S. Yeaworth Jr. en 1958.
Dans les années 1970, c’est la conscience écologique qui se réveille. Le choc pétrolier de 1973 semble avoir réveillé les esprits quant à l’épuisement des ressources et de la planète. Cela donne des contre-utopies vraiment dérangeantes comme Soleil vert de Richard Fleischer en 1973, mais aussi des films plus classiques et manichéens où un héros sauve la planète, voire même se sacrifie. Ce genre de films est constamment repris dans les années 1990 et 2000, mais avec des moyens techniques toujours plus aboutis. L’effet spécial devient un but en soi, l’histoire reste basique et convenue pour laisser la place au spectaculaire. Roland Emmerich avait lancé la vague avec Independence Day en 1996 et poursuit son travail avec 2012, débauche d’effets spéciaux sur un scénario mixant l’arche de Noé et la mythologie Maya.
Révéler la nature de l’Homme.
Cependant, il existe des films qu’on appelle post apocalyptiques, qui mettent en scène l’homme et les communautés après une catastrophe et la destruction du monde. Ces films sont particulièrement intéressants car ils opèrent comme des expériences sociologiques. Que devient l’homme, ses valeurs, son humanité, dans des conditions extrêmes ? En réponse à cette question, l’imagination se déchaîne. Les films d’anticipation post-apocalyptiques sont loin de montrer une progression de l’humanité, mais tendent plutôt vers une régression animale, un retour des instincts grégaires de survie.
La route de John Hillcoat, sorti en 2009, est à ce titre un très bel exemple : cannibalisme, prostitution, pillage, dans une veine réaliste absolument pétrifiante. À cet égard, on peut également penser que la véritable nature de l’homme, dans des conditions de survie, c’est celle du zombie : entité ni morte ni vivante, plus ou moins indestructible, qui n’agit que pour se nourrir et assouvir ses besoins. Pas de grands espoirs, ni d’humanité donc, quand la fin du monde au cinéma cherche à révéler la nature profonde de l’homme. À noter que cette grande thématique de l’instinct de survie, de la résurgence des pulsions animales en condition extrême a été déclinée ensuite dans d’autres genres cinématographiques comme le cinéma gore ou d’horreur. La série des Saw est la plus connue, des personnages sont obligés de se mutiler ou de s’entretuer pour sortir d’un piège.
Miroir de l’individu.
Jusqu’ici nous n’avons parlé que du cinéma américain, et principalement de films à grands budgets, voire de blockbusters. Pourtant, la fin du monde est une thématique récurrente que le cinéma dit d’auteur a su s’approprier également. On a récemment vu au cinéma Melancholia de Lars Von Trier, ou même Take Shelter de Jeff Nichols. Si les films de fin du monde sont une révélation, ce n’est plus l’homme en général que cherche à révéler ces films d’auteurs, mais plutôt les états d’âme de quelques individus confrontés au néant.
la peur absolue de mourir
La mort est toujours une profonde source d’angoisse, mais est souvent transcendée par d’éventuelles filiations, une empreinte laissée sur le monde. Or, quoi de plus horrible, de plus anxiogène que la fin de toute chose ? Au-delà du monde matériel, ce qui s’arrête, c’est la mémoire, c’est le temps. Il n’y aura plus personne pour distinguer l’avant de l’après, plus personne, ni rien, pour se souvenir et garder la trace de soi. Le titre du film de Lars Von Trier prend alors tout son sens. La mélancolie est une pathologie profonde, une tristesse indicible, créée par le sentiment de la fin du monde, de l’inutilité totale de vivre puisque la vie elle-même est condamnée. Les films de fin du monde sont donc la révélation d’un mal intime, la peur absolue de mourir.
Ainsi, l’étude des films de fin du monde sous l’angle du terme d’apocalypse pris en son sens propre est particulièrement intéressante. Ces films sont le miroir de nos sociétés, de nos peurs intimes, des angoisses d’auteurs qui s’approprient un genre maintes fois revu pour exprimer la peur de la disparition totale. À noter que la plupart des blockbusters mettent en scène la fin d’une ère, d’une époque, d’un monde ; mais arrivent rarement à la fin du monde, au néant total. Le happy end est toujours de rigueur. Peu importe que seul un million d’individus survive tant que le héros, ou bien ses proches pour lesquels il s’est sacrifié, sont sains et saufs. C’est dans les films d’auteurs ou à moindre budget que la fin du monde est poussée à son terme, que le postulat de base est totalement respecté. Cela ne donne pas forcément lieu à des drames, mais peut aussi donner lieu à des comédies douces amères ou même romantiques.
Outre Atlantique, en 2012 on a pu voir Jusqu’à ce que la fin du monde nous sépare, de Lorene Scafaria, ou encore Les derniers jours du monde des frères Larrieu. Ce que nous révèle fondamentalement le cinéma de la fin du monde, c’est donc que tous les genres peuvent se renouveler et que ce cinéma n’est pas prêt de s’éteindre.