Discours sur le Prix Spécial

En juin 2016, alors que Carnet d’Art éditions fêtait sa première année d’existence, Les Clameurs de la Ronde, un des trois premiers titres à son catalogue, reçut une distinction littéraire inattendue : le Prix Spécial Amélie Murat. Le jury de ce prix avait sûrement connu des débats, depuis sa création, en 1953, mais probablement pas de polémique aussi vive autour d’un livre, en tout cas jamais au point de créer une récompense à titre extraordinaire. Pour comprendre son choix et saluer son courage, Carnet d’Art vous propose de lire le discours que la vice-présidente du Cercle Amélie Murat, Claire Desthomas-Demange, prononça sous les ors de l’Opéra-Théâtre de Clermont-Ferrand, le lundi 13 juin 2016, à l’occasion de la remise des prix.

Arthur Yasmine… Pour le présenter et comprendre ce qui l’inspire, je vais vous livrer l’essentiel de la conversation passionnante que j’ai eue avec lui au téléphone ; une conversation qui confirma le déclic éprouvé par certains membres du jury à la première lecture de son livre, et la division de celui-ci face à la nature éclatée et insolite de son ouvrage.

Car la voix profonde des Clameurs de la Ronde interpelle : elle est la voix de la révolte contre la Poésie de la poésie, contre une poésie qui se justifie en se cultivant, en se lissant, en se regardant. Arthur Yasmine veut revenir à une poésie plus radicale, qui se fabrique dans la réalité, avec ses drames et ses espoirs ; une poésie dramatique ancrée dans le vivant, avec sa dimension organique ; il veut revenir à une poésie qui se bat en suivant les moments de l’existence et qui inclura, pour ne citer que cet exemple étonnant,  un avis d’expulsion, poétique à sa manière, car receleur et lâcheur d’émotions lui aussi, émotions négatives et inutiles !

Dans le « Message aux éditeurs de Poésie Française », Arthur Yasmine compare sa poésie à du sang vif porté par un morceau de muscle encore battant ; c’est une poésie qui utilise toutes les ressources textuelles pour l’alimenter : depuis les échanges épistolaires, jusqu’aux sonnets, en passant par la prose littéraire, et ce fameux avis d’expulsion, sujet de polémique au sein du jury, mais qui constitue pourtant un ressort dramatique et correspond à l’un des vaisseaux sanguins alimentant le grand corps du livre. Telle est la logique organique et vitale des Clameurs de la Ronde.

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Arthur Cravan boxeur • Crédits : Galerie 1900-2000, Paris.

Et maintenant, parlons du titre. L’ouvrage est un ensemble de pièces qui résonnent. Dans l’« Avis au Lecteur », l’auteur parle de sa poésie comme d’un éclair remontant d’un puits. Dans un puits, en effet, tout résonne ; le puits, dans sa forme arrondie, évoque aussi un mouvement de giration, de spirale : la spirale de la vie qui nous emporte. Et le poète revient souvent sur cette figure, aussi bien pour parler du dieu qui se cache dans ses spirales animales, que pour parler de lui ou de nous, parfois plongés dans les spirales de la rage et du vide. Dans cette spirale, tout est exploité : le symbolique, le crû, le vulgaire ; elle emporte tout sur son passage : le laid et le beau. On ne s’ y attend pas ; et c’est bien le but d’Arthur Yasmine : provoquer la beauté par la rencontre du blanc et du noir. Comme le disait le poète Arthur Cravan, inspirateur du mouvement Dada, poète et boxeur, champion de la vitalité et de l’action, qui fut une source d’inspiration pour Arthur Yasmine :
«  Les abrutis ne voient le beau que dans les belles choses. »

Et maintenant, parlons du poète. Rebelle, comme vous avez pu le sentir, Arthur Yasmine est un pseudonyme qui reflète ses révélateurs poétiques. Arthur, pour Arthur Rimbaud, bien sûr, et pour ce fameux Arthur Cravan. Yasmine, pour le prénom de sa mère, prénom qu’elle a renié pour ses consonances arabes, et qu’Arthur reprit, en suivant le geste de Louis-Ferdinand Céline, également cher à notre auteur, qui choisit le prénom de sa grand-mère pour nom de plume.

De quelle manière Les Clameurs de la Ronde et Arthur Yasmine ont été perçus par le jury ? En premier lieu, il a ressenti que ce poète entretient, sous fond de rupture et de réconciliation, un lien passionné avec la Poésie. Son livre, comme vous avez pu le remarquer, provoque : d’abord par sa structure éclatée, ensuite parce que différents styles s’y succèdent. Il s’agit de dire, à tout moment, tous les ressorts de l’existence et tous les trésors de l’être ; il s’agit de coller à la vie, sans fard et sans affectation. Arthur Yasmine nous rappelle au devoir du poète, non par l’explication du dire, mais par la performation d’un dire brut et poignant – vivant – pointé vers l’inconnu. De la sorte, il espère faire jaillir quelque éclair en interpellant le lecteur et en s’interpellant lui-même. Ainsi fait-il revivre les divinités et renaître Aphrodite, plus vivante que jamais, dans ce fragment nommé « Ciel et Temps » :

« Surgie des spirales, par la panique du sperme

Et du sang, par la détresse du Ciel au sexe

Sectionné, la Déesse jaillit du poème

De l’abysse en beauté. Le Temps devint vortex.

Le fracas des cieux défaits excita l’écume.

C’est alors qu’Aphrodite fusa hors des ressacs.

Comme une foudre tonnant de tout son volume,

L’enfant naquit par splendeur de l’onde opaque. »

C’est ce jaillissement-là que nous avons tant aimé chez Arthur Yasmine, mais je n’en dirai pas plus : nous vous laissons découvrir cette poésie vivante et irriguée d’éclairs multiples.

Claire Desthomas-Demange

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1 Comment

  • […] Premier ouvrage publié d’Arthur Yasmine, Les Clameurs de la Ronde a pour triple-sujet l’Action, l’Amour et la Poésie. En 2016, il reçoit le Prix Spécial Amélie Murat, récompense instaurée à titre extraordinaire, suite à une polémique au sein du jury. Le discours prononcé par Claire Desthomas-Demange à la remise des prix Amélie Murat est à lire ici. […]

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