Eliogabalo

Folie passionnelle et obsessionnelle du puissant.

Mythique.

Dorures de la traditionnelle institution, fleuron de l’excellence culturelle française. Entrer à l’Opéra National de Paris n’est pas commun. Nous y allons pour une des créations d’ouverture du programme de l’Opéra Garnier, Eliogabalo de Francesco Cavalli, mise en scène par Thomas Jolly sous la direction musicale du fascinant Leonardo Garcià Alarcon.
Le casting est impressionnant. Outre la très attendue première signature d’opéra de Thomas Jolly, on remarque la présence de Thibaut Fack aux décors (il a collaboré à la scénographie du Radeau de la méduse présenté au Festival d’Avignon 2016), Gareth Pugh aux costumes (jeune prodigue de la mode installé à Londres qui a collaboré notamment avec Kylie MinogueBeyoncé ou Lady Gaga), Antoine Travert aux lumières (qui a cosigné les lumières des dernières créations de Thomas Jolly), ou encore le fidèle acolyte du metteur en scène, Alexandre Dain à la collaboration artistique (également comédien et assistant metteur en scène).
On attendait donc beaucoup de cette équipe à la moyenne d’âge bien plus jeune que celle du public, surtout pour cette histoire jamais représentée en France de l’Empereur Eliogabalo, se fiant des mœurs et courant les plus belles femmes de la cité romaine tout en profitant des plaisirs que lui offrent les jeunes éphèbes, dépensant à outrance l’or de l’empire avec sa mégalomanie le réclamant du Dieu soleil.

Le temps du débrief, point par point.

Un des évidents points forts de cette création est la lumière. Thomas Jolly et Antoine Travert se contentent de peu pour faire beaucoup. Utilisant à merveille la technologie disponible sur le gril de l’opéra, quelques projecteurs motorisés deviennent tour à tour colonnes du palais de l’empereur, mur infranchissable, fenêtre sur le monde, grilles de prisons, toit resplendissant, regard des Dieux ou pilier de ring. Outre l’audace du spectaculaire que l’on connaît aux deux compères, ils intègrent le public à l’espace scénographique, puisque la lumière devient décors et que celle-ci ne se limite pas qu’à la scène mais vient chatouiller le public à plusieurs reprises, voire même compter les spectateurs devant la scène. Nous devenons alors peuple de Rome, témoin de la décadente folie de l’empereur (et ce n’est pas sans rappeler Richard III). Plongée dans cette mise en lumière active, moteur important de narration et du symbolisme auquel fait appel Thomas Jolly, il y a la scénographie modulable de Thibaut Fack. Simple mais redoutablement efficace, ces modules évoluent avec les artistes sur scène dans une belle harmonie. Encore une fois, tour à tour forum, terrasse, escaliers ou portes du palais, la scénographie est le cohérent reflet de cette création, élément épuré mais multifonction dans la narration et le symbolisme.
Notons un fait qui peut paraître anodin mais est subtilement appréciable, la scénographie et certains accessoires font du bruit (les couteaux qui tombent à terre, les pas sur le bois,…), ce qui entretient le sentiment de proximité avec l’action dramatique à laquelle nous assistons.
Les costumes de Gareth Pugh sont, à l’image des autres éléments susmentionnés, simples mais efficaces. On peut retrouver le manichéisme auquel a fait appel Georges Lavaudant dans La Rose et la hache de Shakespeare / Bene ou plus récemment Bob Wilson dans Quartett de Heiner Müller. Les coupes sont propres au créateur britannique, inspiré sans doute par la science fiction et les mangas, il se joue des formes et volumes, peut être pas assez des matières pour apporter nuance à ces bleus, rouges, noirs ou gris qui constituent la palette tranchée des couleurs des costumes.
Saluons la belle performance des chanteurs. Chapeau bas à, notamment, Nadine Sierra (dans le rôle de Gemmira), et Franco Fagioli (dans le rôle d’Eliogabalo) qui glissent vers un jeu s’approchant de l’expressionnisme.

Modernité qui ne demande qu’à s’exprimer.

On se retrouve devant une mise en scène très belle, dans laquelle on reconnait l’ADN Jolly, à écouter une musique baroque qui se joue d’un fil continue ou presque, la virtuosité du Chef et des musiciens font briller les dorures de l’Opéra… Mais à suivre un livret difficile sur plusieurs points. Non seulement l’intérêt de l’intrigue est loin d’être extraordinaire ou original, mais il semble semé d’embûches narratives et est, surtout, très contemplatif. Nous vivons des scènes entières où il ne se passe pas grand-chose si ce n’est la complainte de tel ou tel protagoniste, voire même des scènes miroirs, que l’on retrouve deux fois. Le livret n’a donc pas aidé Thomas Jolly pour son premier opéra. Cependant relevons la force avec laquelle il s’extrait de ces difficultés en situant l’esthétique de ce spectacle entre modernité inspirée de la culture pop et codes classiques que l’on peut connaître de l’opéra. Chacun retrouve ses petits et nous ne pouvons que saluer la sage justesse qu’il a fallu convoquer pour cela. Entre petites longueurs du livret auxquelles nous ne pouvons échapper et éclats de folies de la fin de chacune des parties, entre sagesse d’un spectacle qui sonne mature et jeu décalé des chanteurs qui s’envolent vers de l’absurde ou du mime. Entre regret d’un manque de provocation ou d’impertinence et réussite d’un pari audacieux qu’il n’était pas si aisé de relever. Entre figure mythique du pouvoir et résonnance actuelle frappante. On peut dire que ce premier opéra de Thomas Jolly, signé dans une des plus prestigieuses maisons du monde, est une réussite, un fin équilibre et n’engage que les prémices d’une longue histoire qui s’écrira sans doute dans les prochaines décennies entre cet art qui résiste au temps et ce metteur en scène qui n’est peut-être pas simplement, comme certains aimerais le croire, un feu éphémère.

Photographie à la Une Agathe Poupeney/OnP.

Antoine Guillot

Auteur / Metteur en scène / Comédien / La Compagnie Caravelle

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