Enfant de Boris Charmatz

Enfants

Mine de rien.

Succès en Avignon 2011. Des corps inertes, allongés à terre. Des corps d’adultes. Attachés à des machines qui les contrôlent totalement. Ils se laissent porter par les câbles, en suspension. Ils glissent sur le sol. Ce sont ces machines qui organisent la rencontre entre les corps. C’est l’introduction. Le spectacle se construit ensuite en deux parties.

La première laisse des adultes envahir la scène avec, sur le dos, dans les bras, des enfants, inertes et immobiles. Ces adultes jouent avec eux. Ils les lancent en l’air, les font marcher, rouler, jouer. Et les enfants, eux, ne bougent que par l’action que les adultes portent sur eux. On retrouve ici quelque chose de presque dérangeant, des enfants marionnettes. Inconscients. Innocents. Charmatz laisse ici totale liberté au spectateur d’interpréter. Ce qu’il présente comme un tableau vivant devient le miroir de notre intimité et nous renvoie à un rapport aux couleurs sombres ou joyeuses entre l’enfance et l’âge adulte. C’est selon.

Presque dérangeant de se dire que cela suffit pour le chorégraphe. Il articule sur scène un concept et le laisse vivre à l’état brut. Il travaille avec ces danseurs une virtuosité du relâché sous prétexte, dit-il, que l’on apprend en touchant et en portant, en se laissant porter. Un spectacle sur l’apprentissage alors ? Assurément non… Ou peut être que oui. On ne sait pas et ne le saura jamais. Nous sommes à l’endroit de nos propres doutes. Il se dégage une forte odeur d’innocence et d’inconscience de la scène… Cela nous questionne sur l’innocence même du chorégraphe. Est-il lui-même inconscient de ce que peut renvoyer cette création ? Le public est tellement désarmé, il voit des charniers ou l’éclosion d’une nouvelle vie… Tout s’oppose… Ou est-ce de la provocation de la part de Charmatz qui s’inscrit dans cette génération de danseurs de la non-danse, de l’anti-danse qui serait, justement, la danse à l’état le plus pur, le plus juste, de l’hyper-danse.

Les éléments, idées, concepts de ce spectacle sont posés les uns sur les autres et forment un assemblage plutôt hasardeux.
Le noir, présent par les costumes, les machines et la scène brute n’est pas la couleur du deuil, ce n’est pas une couleur, c’est la neutralité. Oui c’est, ça, voilà l’esprit de Charmatz, la neutralité qui désarme totalement le spectateur qui fait ce qu’il veut de ce qu’il voit. Pas de prise de tête à avoir, il n’y a rien de plus simple que cet assemblage, c’est une innocence provocatrice, ou bien une provocation innocente.
En tant que spectateur nous sommes bien obligés de nous raccrocher à quelque chose, pour cela nous spéculons complètement pour nous raconter l’histoire qui n’est décidemment pas présente dans cette performance… Au moins nous réagissons, mais c’est à double tranchant et presque trop simple de la part de Charmatz pour être honnête, comme s’il manquait quelque chose.

La deuxième partie du spectacle inverse les rôles. Ce sont les enfants qui prennent le pouvoir et qui manipulent les corps inertes des adultes. Un bordel monstrueux, l’énergie de l’enfance. Ils sautent, ils courent, ils jouent… C’est joli, c’est rigolo… Et… après ?
Mine de rien… Je ne suis pas sûr de me souvenir de ce spectacle dans dix ans mais lui, au moins, il me plonge dans quelque chose… même si je suis incapable de décrire ce dans quoi je suis baigné. Essentiel ? Je ne sais pas. Beau ? Je ne sais pas. A voir ? Je ne sais pas.

Débrouillez vous avec ça… Après tout, chacun son problème, quelques jours après la représentation à la scène nationale Bonlieu d’Annecy, le mien n’est déjà plus là.

Antoine Guillot

Auteur / Metteur en scène / Comédien / La Compagnie Caravelle

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