La clôture de l’amour

La clôture de l'amour

Cela fait depuis sa création en Avignon 2011, que j’attends de le voir. Voir ce qui m’a été conté comme la plus belle Œuvre de Pascal Rambert.

J’ai la chance de bien connaître Pascal, pour avoir travaillé avec lui. Je connais son écriture déstructurée, chantante, ses points et ses virgules inexistants. Ces ponctuations qui, lorsqu’elles existent, n’en sont pas. Cette pensée qui vacille, qui s’inscrit dans un mouvement perpétuel. Cette écriture qui, grâce à la virtuosité des acteurs, devient un simple – parce que purifié – sens organique de la pensée.
Je me réjouissais de retrouver, d’entendre, de voir cette écriture sur scène à l’occasion de son passage à la scène nationale Bonlieu d’Annecy la semaine dernière.

Et puis je me suis retrouvé assis dans cette petite salle. Face au traditionnel espace blanc rambertien. Ce minimalisme permet sans doute de centrer notre attention sur les acteurs et la façon dont ils rentrent littéralement dans le texte.
Je suis fatigué d’une lourde semaine, j’ai déjà l’impression d’être au cinéma. Ce cube blanc qui occupe la scène a l’air d’être coupé du monde, comme un décalage avec la réalité pour entrer dans celle qu’ils vont nous proposer ce soir. Leur réalité. Celle de l’amour. De leur amour.

Et puis l’entrée des acteurs. C’est Pascal qui ouvre le bal. Il est sur scène comme il est dans la vie, théâtral – même s’il réfuterait évidemment cette définition. Il semble être chargé d’une rage de nous balancer à la gueule toute cette histoire qu’il nous raconte dans La clôture de l’amour, celle qu’il a personnellement vécu avec Kate, son ex-compagne et actrice fétiche. Une histoire passionnelle.

Pascal, en fond de scène, face à Audrey Bonnet immobile, s’engouffre dans un monologue d’une heure. Il crache toute cette tension. Il crie, il fait de grands gestes qui soulignent le caractère dramatique de la situation. On assiste au délitement d’une véritable tragédie. Cette discussion en monologue nous renvoie à la magistrale adaptation par Heiner Müller des Liaisons dangereuses de P.C. de Laclos dans Quartett.

Et le texte résonne. Et il respire. Et il est un fabuleux catalyseur de sensations. Nous ne sommes plus dans l’intelligible mais bien dans le sensationnel. Pascal se laisse emporter par ce désespoir qui le dépasse. Jouer ça à Annecy n’est sans doute pas anodin, la ville est en grande partie le théâtre de cette histoire vraie.
On reçoit de la haine, de l’amour.

Pendant ce temps, Audrey Bonnet, presque inerte, reçoit. Elle écoute. Elle accueil. Accuse. Elle ne dit rien. Puis vient le temps de sa parole. Elle se déplace, c’est elle maintenant qui va cracher ce qu’elle a à dire. La tension est extrême, et pourtant véritablement douce. Un amour haineux. Elle se déplace telle une lionne. Un animal empli de toute une histoire, de toute une vie.
Elle ouvre la bouche pour une deuxième heure de représentation et là, à ce moment précis, tout explose, et nous sommes, en tant que spectateurs, emportés dans un exercice physique rare. L’empathie est totale. On rit, on crie, on retient nos crises de larmes avec elle. On capte son rythme de respiration. On trouve le temps long. Une envie que tout s’arrête… Et pourtant… On trouve ça bon. Un supplice duquel nous sommes dépendants.

C’est sûrement une des plus belles déclarations d’amour que signe Pascal Rambert avec ce texte, cette mise en scène et la liberté qu’il donne à cette actrice hors norme qu’est Audrey Bonnet. Une bombe à retardement à laquelle nous sommes totalement incapables de résister. Cette actrice fait de nous ce qu’elle veut. Cette perte de contrôle est effrayante, mais elle est bonne.

C’est sans doute difficile de rentrer dans cet univers déroutant. Mais pour une fois, faisons un effort, il n’est pas si difficile, il suffit de se laisser porter et de faire confiance à ce Pascal Rambert qui s’impose décidément comme un grand de cette scène contemporaine.

Antoine Guillot

Auteur / Metteur en scène / Comédien / La Compagnie Caravelle

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