Génocide mon amour

Genocide mon amour

Je vois ton visage se dessiner dans la lumière du jour.
Ton front large d’abord qui s’éclaire, bombé vers le ciel comme une colline lisse et blanche qui roule sur elle-même, sur tes arcades saillantes, elles aussi tournées vers les étoiles, vers cette voûte céleste où tu aimerais contempler ton propre reflet.
Pourquoi te projeter sans cesse dans ce vertige ?
À croire que tu aimes ça, la direction du vide.
Moi je te regarde d’en bas, ta silhouette magnifique en contre-jour, je la perçois, assis sur les terres asséchées, témoins muets et infertiles de ton passage, plaines arides que tu ignores.
Encore la lumière, toujours la lumière, qui t’attire irrémédiablement.
Elle se colle sur tes paupières et va finir par te brûler.
Attends, attends un peu, Amour, avant de flamber.
Laisse-moi jeter sur toi un regard, mon dernier regard de condamné.
Comme tu es belle.
Tu ne t’en rends pas compte.
Mon horizon est une fissure, une contre-plongée d’où je distingue ton cou diaphane, fin, nacré, qui se tend, s’élève dans les hautes sphères.

Est-ce-que tu danses, Amour ?
Est-ce-que tu ris ?
Ou est-ce simplement le chant cristallin de ta conscience ?
Quelle musique, Amour, que la mélodie de ta conscience.
Elle est devenue si cristalline, elle a tellement changé et de ce chant tu es devenue l’orchestre désincarné.
Comment pouvais-je résister à la danse ?

Je n’ai fait que suivre le rythme de ta démence.
Tant de lumière soufflée pour nourrir ta soif de grandeur, ta lueur éternelle.
Et dans cette combustion grandiose, je n’étais là que pour souffler, en fidèle bourreau de ton cœur. Je n’ai rien fait qu’attiser ta douleur.

Tu as fait tiennes l’angoisse de la mort et la promesse de l’éternel.
Et ceux qui n’étaient pas d’accord, ceux qui se dérobaient à l’éblouissement de ton regard, tu les as tout simplement broyés, écartelés entre tes mains mille fois caressées, celles qui avaient écrit les Saintes Écritures.
Avalés dans ta bouche d’or, mâchés entre ces lèvres qui prêchaient la bonne parole, digérés dans ton ventre plat et doré, sous cette peau tendue, lieux de toute vie comme tu l’as décrété.
Tu en as décrété des choses depuis ta naissance.
Tu as modelé avec une main de maître tes inégalités, affirmé tes différences, poli et glorifié tes soumissions.
Soumettre les nègres pour une beauté immaculée, fantasmée.
Brûler les hérétiques, les non-croyants.
Ceux qui croyaient en autre chose que toi, que ton Dieu, ton Yahvé ou ton Allah.
Tu as tout manigancé, manipulé ton essence et lui as donné tous les visages.
Un caméléon de terreur, l’épiderme englué de rêves trop grands, comme une toile tissée autour des ces milliards d’âmes, trop petites, trop fragiles.
Tu es la surface resplendissante du bonheur, un bonheur coloré, imposé et transparent dans les profondeurs.
Et ensemble, par décapitations brutales, par écartèlements fibreux, par autodafés brûlants, nous avons enseveli le paysage du monde sous un lit de poussière.
Oui, Amour, nous avons baisé l’omniscience, forniqué avec la raison et de cette baise grandiose, nous avons créé tes martyrs.

Texte coécrit avec Killian Salomon.

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Antoine Guillot

Auteur / Metteur en scène / Comédien / La Compagnie Caravelle

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