Idiot ! Parce que nous aurions dû nous aimer

Idiot ! Parce que nous aurions dû nous aimer

Entre cri de révolte jubilatoire et énergie brûlante.

Il l’a fait ! Vincent Macaigne a signé hier la dernière représentation de son adaptation du texte de Dostoïevski, Idiot ! Parce que nous aurions dû nous aimer. Attention danger, les murs du théâtre qui contiennent la folie des artistes contemporains sont tombés et celle-ci est contagieuse !

Il a trente-six ans et s’est fixé un objectif, ne pas avoir de limite. C’est dans une provocation permanente que nous plonge le metteur en scène. Il veut explorer la beauté des bas fonds humains et s’entoure de huit acteurs pour mener à bien cette mission. Le spectacle dure quatre heures. Nous sommes en compagnie des personnages de l’auteur russe embarqués dans une épopée tragique dont nous connaissons déjà la fin… certains meurent. Rassurez-vous, ce n’est que du théâtre. Macaigne s’amuse à nous le rappeler constamment en utilisant toutes les vieilles ficelles du métier, que ce soit du faux sang à de la fausse claque, mais c’est pour une bonne cause, il joue et fait jouer ses acteurs, il est d’ailleurs présent dans la salle et sur la scène pour leur parler durant la représentation. Il se pose alors comme un démiurge, non sans rappeler évidemment la recherche de Tadeusz Kantor, que ce soit dans l’esthétique plastique du théâtre de la mort ou dans la distanciation assumée de la construction de l’acte dramatique. Les couronnes, le sang, les trahisons, les cris, les pleurs, les colères, les grands discours sur la vie, la société et l’humanité évoquent également le mysticisme exacerbé d’Olivier Py… Ce n’est d’ailleurs pas sans accabler le directeur du Festival d’Avignon d’un sacré coup de vieux.

Macaigne est jeune, désillusionné mais ayant encore la force d’hurler une colère au monde. Il parle alors à la société – souvent interpellée durant le spectacle et représenté par… le public évidemment – il l’assomme de leçons de morales et place les spectateurs face à leurs contradictions, face à leurs pulsions animales les plus basses, les plus sales. Macaigne est sale et on aime ça, parce que nous aussi, nous le sommes quelque part. Il s’agit bien ici de débauche, de décadence, de bêtise, les protagonistes de la pièce cassent, salissent et détruisent les accessoires, le décor, leurs costumes, le plateau… Les différents spectacles que nous pouvons voir des différents metteurs en scène de cette tranche d’âge ont d’ailleurs souvent recours à ce procédé de destruction. Est-ce le cri d’une génération ? Sans doute oui, le public qui assiste à la représentation est jeune, il est emballé et participe activement, cris, rires et applaudissements, certains sont même invités sur scène à danser dans une mer de mousse, nous sommes en boîte de nuit ? Dans une soirée privée de la jeunesse dorée des quartiers chics parisiens ? En Russie pour fêter l’anniversaire d’un Tsar ou d’on ne sait quel Oligarque ? On ne sait plus. Macaigne parle à la société et laisse la possibilité à la société de parler. La société joue avec lui. On ne sait même plus si on est vraiment au théâtre. Et pourtant si, ce cri de révolte n’est pas seulement celui d’une génération, il dépasse largement les frontières de l’âge et emporte dans son souffle surpuissant les grands-mères qui étaient venus voir une plume maîtresse de la littérature russe. La folie du metteur en scène mégalomane, enfantin est presque puérile mais emporte tout sur son passage. Heureusement tout de même que le rythme effréné dans lequel il veut nous emmener gagne d’abord les adolescents, pour ensuite se propager dans le reste de la salle.

Idiot ! Parce que nous aurions dû nous aimer

Idiot ! Parce que nous aurions dû nous aimer

L’adaptation de L’idiot de Fiodor Dostoïevski est libre mais parfaitement maîtrisée. Macaigne connaît son dossier. Il appréhende tellement bien le pavé de plus de mille pages du russe qu’il se permet presque de faire de ce texte un prétexte à raconter son épopée salvatrice. Mais n’est-ce pas un rôle noble après tout ? D’autant plus que, malgré le cri constant des acteurs qui n’ont apparemment pas le droit de parler normalement, chaque mot résonne avec force et nous retrouvons évidemment les citations mythiques de l’œuvre fondatrice telles que « La beauté sauvera le monde ».

L’univers d’une violente décadence de Macaigne est tellement fort qu’il donne l’impression de ne pas vraiment diriger ses acteurs, ceux-ci sont plongés dans ce monde dangereux et naviguent dans cette tempête en essayant de survivre.

La mise en scène est grandiose, les murs s’abattent tout au long de la représentation, toujours plus magistralement, et nous enfonce dans les tréfonds de la salle qui vit ce grand moment de théâtre comme ceux de la névrose de la scène contemporaine.

« La beauté sauvera le monde »… Le monde est dans un sale état d’après le metteur en scène, mais il sera sauvé par cette beauté qu’il maîtrise si bien mais qui n’en est pas… C’est bien ça, la révolution à laquelle nous assistons.

Antoine Guillot

Auteur / Metteur en scène / Comédien / La Compagnie Caravelle

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