Jamais

Le roman du langage.

Roman « Jamais » par Véronique Bergen aux Éditions Tinbad, 126 pages, 16€.

Pour Véronique Bergen l’événement d’un livre, quel qu’en soit le genre est sa langue. L’auteure crée un rapport cinesthésique et charnel avec le mot pour toucher autant la sensation que l’esprit. Elle traque le langage par ceux qui en sont dépourvus ou en ont été spolié. Dans Jamais, il s’agit celui d’une mère en dérive forcée par ses exils au milieu de divers langues sans trouver la sienne et jusqu’à cheminer dans une forme de rêve inconscient : celui d’enfin pourvoir parler. La question que Véronique Bergen posait déjà dans son Kaspar Hauser, celle de l’entrée dans le langage est donc repris ici loin de toute métaphore.

La mère « s’énerve » au nom des mots qui ne fonctionnent pas car ils ne sont pas les siens mais ceux que sa fille lui impose : d’où ce chiasme irrémédiable entre les origines du langage et le langage des origines. Le récit devient celui d’un langage en crise, d’un langage impossible mais rempli d’émotion et de colère. La mère tente en vain de retrouver sinon un territoire du moins une carte lexicale. Et Véronique Bergen en avançant dans ce récit (radiographie d’une heure d’entretien avec la mère dans la maison médicalisée où elle finit sa vie) crée une polyphonie en un traitement plus romanesque qu’analytique. Mais le refoulé est là : l’auteure le traduit jusque par des insertions de graphies et de caractères différents. Il y a des germes de yiddish, des graphismes gothiques. Ils montrent comment la mère ne peut faire le deuil de langages premiers ni accepter totalement celle qu’en un retournement maternel, sa fille lui impose.

Reste chez cette mère le sentiment d’une trahison. Elle s’est sentie bâillonnée, muselée. Sa fille a tenté un travail de restauration et un souci rendre justice à celle qui a subi un tort irréparable mais la mère ne peut le « souffrir ». Son Jamais est d’hier et d’aujourd’hui. Elle éprouve à l’égard de sa fille un outrage – empathique sans doute – mais outrage tout de même. La fille (hors champ dans ce récit) reste malgré tout le témoin de celle qu’elle aime le plus au monde et dont elle connaît les souffrances, la solitude et le corpus bouillant et chaotique. Jamais reste à ce titre l’histoire d’amour filiale par procuration et en filigrane la plus probante sous forme d’hommage qui évite les miasmes de l’autofiction.

Image à la Une © Éditions Tinbad.

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