La splendeur de Dostoïevski.
Dostoïevski magistral sur ce texte œuvrant à dépeindre la Russie moderne qui ne peut que résonner avec le monde contemporain. Des personnages à la dérive, se vautrant lamentablement dans leurs petitesses, embourbés dans la fatalité d’un destin injuste.
Saluons la performance des comédiens, qui jouent ensemble avec un plaisir qui transperce les murs de la carrière de Boulbon et sauve sans doute le spectacle du décevant Jean Bellorini.
Nous sommes plongés dès le départ dans un décor imposant, grande maison, rails permettant de faire rouler des modules-scènes, jeu sur plusieurs niveaux (l’avant scène, les rails, l’avant de la maison et le toit de cette maison), cages en verre… On s’attendrait à un grand et beau spectacle, on y voit une influence Mnouchkine ou encore Chéreau dans cette scénographie. Puis la parole est prise par le premier comédien, et les scènes s’enchaînent, nous sommes emportés dans une épopée embourbée dans la complexité de l’auteur russe, sans pour autant qu’elle en souffre. Les comédiens transpirent la volonté de bien faire et le plaisir de s’inscrire dans l’histoire de ce lieu mythique. Ils sont bons, très bons pour certains. On leur pardonne la fatigue qui les fait trébucher à plusieurs reprises sur un texte puissant parce qu’on les sent un peu en roue libre face à un metteur en scène qui a l’air de se concentrer sur d’autres choses plus importantes… On se délecte de l’humour révélé par leur jeu. On rit (ou au moins sourit), sur Dostoïevski et même si on retrouve cet humour à la lecture du texte, ce n’est généralement pas l’élément que l’on retient en premier. Le spectacle dure cinq heures trente dont un entracte de trente minutes… La nuit est malgré tout longue parce que nous sommes confrontés à une lecture un peu simple et donc sans grand intérêt de l’œuvre originale. Voilà encore une fois un metteur en scène qui cherche à ne surtout pas prendre parti pour retranscrire au plus juste le texte du maître. Jean Bellorini considère que son travail est réussi si les spectateurs sortent en voulant lire le texte original.
Alors que l’on se dise les choses, ce festival est là pour ça, aussi… A l’air de se dessiner un mouvement du genre dans le paysage du théâtre français. Rendre le spectateur lecteur du texte. Pourquoi pas. Seulement quand cela se fait au détriment de ce qui fait l’essence du théâtre, un homme qui raconte une histoire à un autre homme. Un comédien donc, qui parle à un spectateur. Quelque soit le parti pris de la place du spectateur, de la place du comédien – et nous sommes évidemment d’accord que les lignes doivent bouger – il ne faut pas oublier que si le théâtre peut prétendre à incarner un espace de liberté dans notre société c’est parce qu’il s’empare de cette liberté. Lorsque l’on est confronté à une petite lecture d’un texte comme celui-là, à une mise en scène qui n’a l’air d’en faire que le minimum syndical et fait donc ressortir les petites manies du metteur en scène de 2016 (vidéo dont on se passe presque jusqu’à la fin et qui est utilisée pour le procès de façon a évacuer rapidement la question du traitement scénique de cette scène, cage en verre qui sort du toit de la maison…), on a le droit d’être déçu et de s’inquiéter un peu sur ce que fait cette génération d’un théâtre qui ne semble pas être à la hauteur des problématiques de notre monde.
Quel que soit le sujet, les mutations de notre monde sont trop importantes, trop graves pour ne pas s’en soucier. Alors pourquoi monter ce texte aujourd’hui ? La réponse est dans le texte, pas dans la mise en scène de Bellorini. On regrette le manque d’imagination de ce metteur en scène qui prétend avoir construit le spectacle pour la carrière de Boulbon mais se contente de projeter des ombres sur le côté jardin, dans un petit coin, à croire que ce n’est même pas fait exprès, qui se contente d’allumer la façade pour je ne sais quelle raison, sans doute pour rappeler qu’on est dehors, face à un mur imposant.
Au final on est content d’avoir découvert certains bons acteurs mais est déçu par un Bellorini qui n’est pas à la hauteur du texte, du lieu et pire, du monde et du théâtre dans ce monde.
Karamazov, par Jean Bellorini. Carrière de Boulbon, à 21h30, jusqu’au 22 juillet. Durée : 5h30.
Photographie à la Une © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon.
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