De cirque et de théâtre (imparfait).
Retrouvez, aux Célestins, avec le festival UtoPistes et le Radiant–Bellevue, la poésie touchante de James Thierrée et de la Compagnie du Hanneton, troublant moment de grâce terni par une narration malhabile.
Monde sous–terrain de matière vive.
Des structures entièrement pendues des cintres emplissent l’espace vide, se déploient et se rétractent. Une dame s’installe sur un fauteuil à cour (interprétée par la chanteuse Mariama), et raconte sa fille, qui danse dans les airs, et les enfants qu’elle a enlevés, qui évoluent au sol à en devenir fou, prisonniers d’un monde enchanté un peu steampunk, un peu humide.
Deux dimensions s’opposent : l’horizontalité de ce sous-sol carcéral, et la verticalité du monde réel, évoqué, qu’on ne peut atteindre que par l’envol. Un piano qui joue tout seul, un violon jeté hors scène qui continue de sonner, un ingénieur–bricoleur qui peuple la nuit de son fer-à-souder, et cette mère, pataude, qui chante et raconte.
Le tour de force de ce dispositif scénique réside, au delà de sa plastique, dans son interactivité : tous les modules suspendus de déplacent, s’orientent, suivent les interprètes et réagissent à leurs actions. La scénographie n’est plus un décor, elle est vivante, elle est contorsionniste. Elle aussi, un corps soumis à la chorégraphie.
Tisser le lien fondamental — sous la parole.
C’est l’avantage du cirque sur le théâtre : la possibilité de parler sans paroles. De minimiser les interactions verbales, de ne pas avoir besoin de grandes paraboles et d’alexandrins pour déployer sous nos yeux les composantes de l’âme humaine. Juste de faire se confronter des personnages, qui, dans des interférences naïves — et donc sincères, déploient le désir, le besoin, la frustration, le regard sur l’autre et le regard de l’autre, l’enfermement de l’intériorité. On y voit, plus que nulle part ailleurs, des corps se rapprocher et se rejeter, et c’est cela seul qui compte.
Sur ce point, le spectacle fonctionne à merveille : il faut oublier la voix de la mère qui raconte, et se concentrer sur les images, et sur ces personnages qui ne contrôlent rien, à qui tout échappe, qui s’engluent dans une vie dont ils ne détiennent pas les clefs. Le numéro de cirque n’est pas une facilité comique, il sert pleinement ces enjeux — quand les mains des interprètes débordent d’assiettes qui se multiplient à l’infini, derrière le clownesque se dessine l’humain si faible, si peu à même de comprendre son monde.
Ce sont certes de bons symboles massifs, qui arrivent avec leurs gros sabots : la fille légitime de la mère est la seule à exploiter la verticalité du plateau, la seule à n’être pas vraiment prisonnière du plan horizontal. La musique qui devient folle, c’est la parole, la production artistique, qui leur échappe et se retourne contre eux. L’absurde, comme souvent, ne fait pas dans la finesse. Mais ce sont des symboles de chair, pas de paroles ou de matières mortes, et cela change tout : le symbole du corps qui échoue, qui montre qu’il échoue, fait vivre son échec, se passe de l’élaboration subtile qui serait nécessaire au texte où à l’image. La tarte à la crème, pour peu qu’elle soit correctement incarnée, est une plongée vertigineuse dans nos propres peurs.
Oublier que la parole ne répond pas aux mêmes règles.
Mais là où ce dispositif symbolique ne fonctionne plus, c’est dans le recours à la parole. Avec un programme énigmatique qui joue la poésie sans y parvenir, le ton était donné : ce spectacle ne sait pas parler les mots. Ou plutôt, et c’est là que la faute réside, il croit savoir, se gonfle de cette prétention, mais échoue.
La narration, continue sur toute la durée du spectacle, est assurée par ce personnage maternel. Elle raconte qu’elle est un monstre (soit) qui s’est déguisé en jeune femme, est monté à la surface, a aimé le prince (tiens donc), est devenue princesse, a été dénoncée, bannie (quelle surprise), avec un descendant princier dans son ventre. Elle est retournée dans son sous–sol, emplie de ressentiment, et a enlevé les nouveaux enfants du prince (la vilaine !). Ceux-ci tentent vaguement de s’échapper. La fille, elle, tente de descendre sur le plateau horizontal pour entrer en relations avec les autres enfants, mais c’est à chaque fois le conflit. Voilà ce que raconte la mère, avec une diction lente mais assez déconnectée des enjeux, une voix qui n’est pas une voix de théâtre, pas une voix de cirque, pas même une voix de cinéma. Ou plutôt : une voix de mauvais théâtre littéraire. Un cliché de lecture, comme on raconterait une histoire à un enfant en insistant bien sur chaque syllabe pour qu’il apprenne le langage par la même occasion.
Au fond, c’est probablement là qu’est le biais : comme pour l’histoire qu’on raconte à un enfant, la qualité vocale ou littéraire compte peu. L’important c’est de raconter, de fournir un support narratif quelconque à son imagination. Et cette voix, cette histoire d’une heure et quart mal dite et pas vraiment folichonne sur le plan dramatique, ne sert qu’à cela : nous fournir le pré–texte, l’excuse pour entrer dans ce que racontent ces corps. Il n’est pas besoin qu’elle soit belle, exigeante, artistique — il faut juste qu’elle soit là pour pallier le peu de narration factuelle des corps. C’est un peu facile, de traiter à la légère un élément qui prend tant de place dans le spectacle — c’est en tout cas regrettable.
Les seuls moments où ce personnage maternel devient intéressant, s’étoffe un peu, c’est quand il chante. Mariama n’est pas une actrice, pas une circassienne, c’est une chanteuse. Les quelques fois où elle ose abandonner le texte pour retourner à ce qu’elle maîtrise, enfin elle prend un peu de magie, de théâtralité, et exprime autre chose que son rapport malaisé au texte parlé. Et il se peut que la compagnie soit consciente du déséquilibre du personnage, et la reprise d’un de ses airs après les saluts pourrait le symboliser : il n’y a guère que son chant qui justifie sa présence sur scène. Elle est un outil d’accessibilité, permet le spectacle, mais n’as pas été transformée en morceau de sublime à l’image des corps des autres interprètes. Relégués, oubliés, son corps se traîne sur le plateau maladroitement et son texte échoue à être beau.
Il n’en demeure pas moins qu’à l’exception massive de cette parole qu’on a oublié de sublimer, c’est un beau moment d’hypnose sensible que proposent J. Thierrée et la Compagnie du Hanneton, que vous pourrez retrouver :
- aux Célestins, Théâtre de Lyon, jusqu’au 5 juin ;
- à La Coursive, scène nationale de La Rochelle, du 8 au 10 juin ;
- à Montpellier lors du Printemps des Comédiens, du 22 au 25 juin ;
- au Théâtre de Namur (Belgique), du 22 septembre au 2 octobre ;
- au Théâtre Sénart, scène nationale de Lieusaint, du 6 au 8 octobre ;
- de nouveau aux Célestins, du 11 au 23 novembre ;
- au Théâtre du Rond Point, à Paris, en partenariat avec le Théâtre de la Ville, du 1er au 31 décembre.
Ce spectacle a été réalisé en co-production avec les Célestins, Théâtre de Lyon.
Célestins, Théâtre de Lyon, la sélection 2016/2017 | Carnet d'Art
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