Pippo / Bernard – comme des frères.
Comme un grand frère, comme ce grand frère dont il prend en charge la parole, puisque lui ne le peut plus.
Cette longue phrase, parole infinie, que livre Koltès en 1977 porte en elle tous les maux moteurs de l’écriture de l’auteur. Le réquisitoire d’un homme malade de solitude, malade d’un monde trop violent pour lui, pour retenir cet inconnu croisé au coin de la rue. Ne pas laisser de silence, surtout pas de silence. Ne pas perdre l’attention de l’autre, ne pas laisser s’échapper son regard. Ne pas, surtout, ne pas. L’homme qui parle n’est à sa place ni ici, ni ailleurs. L’homme qui parle ne trouve aucun endroit pouvant satisfaire pleinement sa mort.
Pippo Delbono fait ici preuve de toute la furieuse simplicité dont il est capable. L’artiste est assis sur une chaise, micro, pupitre et bouteille d’eau comme seuls outils pour retenir notre attention. Accompagné par un musicien bassiste ponctuant la lecture en italien de La nuit juste avant les forêts de Bernard-Marie Koltès. Pippo n’a en réalité besoin de rien. Il est tel un fauve sur sa chaise, serein mais toujours aussi puissant. D’une beauté crasse il se laisse porter par le flot de la parole, par son propre mouvement de pensées, embarqué par sa propre énergie. Pippo navigue dans cette parole qui n’est pas tout à fait la sienne sans être tout à fait une autre non plus. Sans bouger de sa chaise il s’approprie la violence du réquisitoire contre le monde de l’auteur, il envahit l’espace, il accapare l’esprit d’émotion des spectateurs et nous envole bien au delà de tout ce que l’on pouvait attendre de ces hommes, Koltes et Delbono, aux torrentielles générosités.
Photographie à la Une © Francesco Pulle.
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