Musilac – Jour 01 – Motor ends

Musilac Jour 01 - Motor ends

Motor ends

Tout a commencé par un bourdonnement morose, une marche blanche. Et cette procession grimaçante qui avance jusqu’aux abords du lac, qui m’entraine avec elle, dans un défilé éteint de visages et de cris étouffés, de rires qui explosent, brusquement, puis se dissipent comme un murmure dans l’air chargé d’humidité. Bien avant de pénétrer dans l’enceinte du festival, c’est cette ambiance brumeuse qui m’interpelle. Corps emmitouflés, démarches spasmodiques, parkas sombres qui claquent au vent ; un cortège d’âmes silencieuses et engourdies, dont les regards ne sont pas ceux de l’attente ou de légèreté espérés, mais bien ceux d’une détermination, d’une volonté d’en découdre avec les éléments. Et la bataille s’annonce délicate au vu du ciel cotonneux qui surplombe de ses boursouflures menaçantes la foule amassées devant la scène.

Le sol est visqueux, détrempé de boue et de bière. L’espace entre les peaux se resserre, frottement immatériel de plastique humide, chuintement huileux des corps, la marée humaine prend forme. Et l’atmosphère se charge enfin d’étincelles, de rubis, et les accords laconiques de Kaiser Chief prennent vie, attisent doucement le feu fragile d’un Musilac encore fébrile. Ruby, I Predict A Riot, le groupe anglais enchaîne ses tubes, pose tranquillement les bases d’un show de professionnels, un brin impersonnel. London Grammar prend le relais, mollement, et la voix céleste d’Hannah Reid a du mal à s’élever. Elle flotte, belle, nébuleuse, mais son Nightcall ne parvient pas à endiguer la berceuse. Après une heure de concert, les esprits sont brouillés, abrutis par la mélodie ou l’imprégnation d’alcool. Les consciences, elles, restent pourtant affutées, portées par une clameur collective, un bruissement d’impatience. Un moment historique est entrain de se jouer ; le heavy metal de Motörheads va bientôt exploser. Des ombres s’agitent sur scène, des instruments sont déplacés et chacun tente de reconnaître une silhouette, un visage buriné par le temps, une main calleuse mais agile, n’importe quel signe qui pourrait nous rassurer. La fièvre enfle, se répand, s’agite, puis disparaît brutalement. Les projecteurs s’éteignent, la sono grésille, et c’est un groupe d’une trentaine de personnes qui entre sur scène. Habits sombres, visages plus sombres encore, pancartes bricolées, speaker désabusé, les intermittents prennent le contrôle. Un discours crispé, crier presque par désespoir, et qui donne la désagréable impression d’assister à la répétition d’un chauffeur de salle. L’interruption est assez brève, passe malheureusement pour une mauvaise blague, et c’est après ce moment de pesanteur gênant que les hommes à la croix blanche cèdent enfin leur place à Lemmy Kilmister et sa bande. Est-ce alors un problème de balance ? L’ombre fielleuse d’une extinction planante ? Ou bien serait-ce tout simplement la voix enrayée du chanteur qui ne parvient pas à couvrir le tumulte de la foule ? Une chose est sûre, dans cette ambiance électrisée, les cris sont moins ceux d’une fièvre collective que d’un hommage respectueux. Il faut les acclamer, c’est une évidence. Annulations de concerts à répétition, bilan de santé inquiétant, le dinosaure Kilmister revient au forceps, entre cris et fracas, pour son unique et surement dernier passage dans l’Hexagone, et plus généralement sur scène. Pendant plus d’une heure les poings se lèvent, les gorges s’enraillent. Crêtes bariolées, tatouages gothiques, regard allumés, la masse compacte des fans forme une houle déchaînée, bien décidée de profiter au maximum de cet instant mythique, sans doute le dernier. Un ultime riff de guitare résonne alors, long et étiré, presque lugubre, et les yeux de Lemmy qui se jettent une dernière fois dans la foule, balaye de leur lueur sans âge la meute des septiques. Les lumières s’éteignent, les applaudissements continus plusieurs minutes, puis finissent eux aussi par s’essouffler. Un silence lourd d’émotion se répand sur Musilac, bientôt couvert par l’alto métallique d’une voix que dégueule les enceintes. Encore un message des intermittents. L’indifférence fait place à l’agacement, l’agacement au malaise. Une brûlure désagréable ronge les entrailles ; sensation corrosive d’assister à la fin d’un groupe, d’une ère du rock, comme si les Motörheads, dont le concert crépita brièvement entre deux revendications sociales, avaient fait leur temps, étouffés par la vie et par une époque à laquelle ils n’appartiennent déjà plus.

Nouvelle affluence au bar, mouvements de foule désordonnés, hurlements éthyliques, le festival se remet doucement et attend, avec un peu plus de légèreté, le passage de Matthieu Chedid. La nuit est alors tombée sur l’esplanade et comme prévu, l’arrivé de M sur scène déclenche l’hystérie. La prestation est léchée, jeux de lumière et costumes fantasques se fondent en un ballet visuel psychédélique envoutant. Rien n’est laissé au hasard. M se fait plaisir, le public aussi, et d’une seule et même voix il entonne bientôt les airs pop et acidulés du chanteur gesticulant. Une aisance et une confiance qui donne parfois à s’interroger sur certains choix scéniques. Qui est l’allumé torse nue et pantalon blanc qui gesticule comme un dément aux côtés de M ? Réduisant ainsi son Mojo à un bref orgasme épuisé… Une tentative un peu bancale, un accro dans la machine bien huilée de M, assez vite oublié face à la qualité générale de sa prestation. Ce premier grincement, à l’heure où Shaka Ponk entre en scène, se dessine pourtant comme l’annonce d’une chute annoncée, le premier dérapage d’une longue liste d’erreurs qui vont se succéder, s’accumuler, à l’image de cette boue nauséabonde qui macule les corps. Cette chaîne rouillée ne sera brisée qu’à l’arrivée, très tardive, de Maceo Parker. Avant le retour, à pas feutrés, du roi de la funk, c’est une déception presque palpable qui enfle dans le cœur des vingt mille festivaliers parqués aux bords du Lac. En effet, Shaka Ponk, entre débauche d’effets visuels (notons cet incompréhensible échange de percussions entre le batteur et leur mascotte Goz : un singe en images de synthèse et septième « membre » du groupe), de cris vociférés et d’injonctions aussi désespérantes que désastreuses, le groupe de français (nommé à l’Ordre des Chevaliers des Arts et des Lettres, rappelons-le) donne un concert embrouillé, mal maîtrisé et finit vite par lasser, sans pour autant épargner nos oreilles déjà terriblement meurtries. Et ce n’est pas Fauve qui sauvera l’ambiance de cette fin de soirée. Si certains s’attendent à passer une Nuit Fauve, la majorité quittent déjà l’esplanade sans même se retourner. Les plus ou moins mystérieux membre du Corp donnent l’image d’êtres trop petits pour une scène trop grande. Leurs échanges timides avec le public, distillés entre deux morceaux, ne sont là que pour masquer un malaise grandissant. Leur spoken word est pourtant impressionnant, les mots balancés à une vitesse vertigineuse sont maîtrisés, percutants, mais ne parviennent pas à couvrir la rumeur d’une déception. Il faut donc attendre la fermeture des bars, le départ à pas traînant de la foule, pour assister, sur la scène Pression Live, au concert salvateur de Maceo Parker. Choix étrange de la direction de programmer en concert de clôture un groupe jazzy, en sachant que les deux prochains jours verront leurs crépuscules illuminés par les platines et les accords de DJ électro. Choix étrange donc, et sentiment désagréable de voir ce monument qu’est Maceo Parker, cantonné à jouer sur la plus petite scène du site de Musilac. Un point minuscule et scintillant devant lequel la plupart des festivaliers passent sans accorder un regard, trop occupés qu’ils sont à éviter les gigantesques flaques de boue qui parsèment le devant de la scène. Après les premières minutes d’incertitudes, la soul de Maceo finit quand même par enflammer la foule, et ce qui se présentait comme un concert au rabais, finit par devenir le théâtre d’un échange intimiste entre un artiste et son public. La foule est clairsemée mais les visages constellés de sourires, et à Maceo de prodiguer sa musique, devenant presque parole d’évangile lorsqu’il s’écrie, de sa voix caverneuse et éclatante :
 » MY NAME IS MACEO PARKER ! MY NAME IS MACEO PARKER, AND I COME FROM NORTH CAROLINA ! WE’D LIKE TO DO 2% JAZZ 98% OF FUNKY STUFF « .

Si l’on ne peut décemment mettre en corrélation les pourcentages annoncés de Maceo, avec respectivement, le taux de réussite et le taux de déception, il n’en reste pas moins que le bilan de cette première journée est très mitigé. Espérons que le deuxième jour, le seul pourtant à ne pas afficher complet, sera l’occasion pour les artistes de donner un véritable élan à ce festival qui a du mal à sortir de sa torpeur.

Killian Salomon

Rédacteur / Auteur

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