Nicolas Lavarenne

le bronze entre ciel et terre.

Suspendus au-dessus du sol, portés par le vide, les êtres de bronze s’élèvent et si le regard de l’œuvre semble chercher un horizon lointain, celui du spectateur, lui, tente de suivre ses lignes qui montent vers le ciel, tout n’est que mouvement, forme figée dans un geste infini, courbes dorées, muscles noués. Les sculptures sont là pour le beau, pour être regardées, convoitées, parfois aimées. La géométrie des lignes se perd dans le brut des formes, les détails n’en sont plus, ils deviennent prolongement. Prolongement, de la pensée aérienne de l’artiste. Modelé, effleuré, s’envolé, c’est le tripode qui soutient la démarche de l’auteur. Trois phases indissociables de sa volonté de sculpter pour lui, puis, pour les autres.

Est-ce que cette première présentation de vous, vous flatte ?

Elle me fait grand plaisir, c’est ce que je vois aussi dans mon travail, c’est ce qu’il me raconte donc ça me fait plaisir que ça passe.

Quelles sont vos influences dans la sculpture, la peinture, ou la musique ?

Ce n’est pas à moi de le dire. En ce moment, je suis en train de faire une pièce, et dedans, j’y vois Antony Gormley par exemple. J’ai un copain qui fait l’antithèse de mon travail, mais je vois là-dedans un parallèle avec mon propre travail. Il fait des personnages obèses et complètement dégoulinant de plis et de replis, mais qui sont dans la même attitude, pour sortir de ce carcan charnel que je trouve génial. Depuis que l’homme a commencé à se poser des questions, il a toujours rêvé de sortir de son état animal, pour essayer d’être un pur esprit, et symboliquement pour atteindre le ciel. Pour l’instant on n’a pas trouvé mieux que de voler !

Vous avez des modèles ou des pères dans la sculpture ?

Je suis autodidacte, mais en même temps ce n’est pas tout à fait vrai parce que mon père peignait dans son atelier et ma mère était prof de dessin. Dans la maison familiale, il y avait la présence de peintures. À table, mes parents parlaient d’art, mais ça ne m’intéressait pas du tout.

À quinze ans, quand je me suis demandé ce que je voulais faire plus tard, je ne pouvais surtout pas me dire artiste, je n’arriverai jamais à la cheville de mon père, j’ai donc tiré un trait dessus. Par contre, à trente ans, l’art m’est tombé dessus, je me suis rendu compte que je connaissais l’histoire de l’art, les grands artistes… J’en avais été imprégné inconsciemment. Je suis parti pendant dix ans pour être sculpteur sur bois d’ornement. Je sculptais des meubles pour les ébénistes. Dix heures par jour, j’étais devant un établi à sculpter des petites fleurs d’acanthe, des volutes, et tout l’ornement sur le meuble. Je me souviens avoir rencontré un collègue, sculpteur sur bois, qui m’a dit que son rêve était de faire des statues, je lui ai dit : « Ah bon, pourquoi faire ? ». C’était un an avant que je fasse ma première petite sculpture qui m’a bouleversée et qui m’a aidée tout au long de ma vie.

Est-ce que la notoriété ou la reconnaissance de vos pairs est importante pour vous ?

Oui, je pense que j’ai besoin de reconnaissance. Récemment je me suis rendu compte qu’à l’école on m’a toujours dit dans quoi j’étais mauvais, mais jamais dans quoi j’étais bon. Donc je pense qu’on m’a traité de bon à rien pendant toute ma scolarité. Ce qui est dramatique parce que lorsqu’on est gamin, on enregistre tout. On construit sa vie. On ne m’a jamais dit que j’étais bon à faire de la trois dimensions, on ne m’a jamais dit que j’étais bon en dessin. Je pense que lorsqu’on a été nul comme ça toute une partie de sa vie, on cherche la reconnaissance. Je pense que c’est une conséquence. La reconnaissance du public me réconforte.

éviter le socle classique, qui sacralise, qui bloque, qui fait devenir statue

Quel est le meilleur aspect de votre métier ?

Tout est bon dans la vie d’artiste, j’entretiens le mythe. Avec l’art, on essaie d’enrichir l’humanité, on essaie d’avancer dans la réflexion et l’inconscient collectif…qu’est-ce qu’on fait là et où va-t-on ? L’art pose des questions. L’artiste est victime de l’art.

Peut-on vivre de la sculpture aujourd’hui ?

Oui, je vis de la sculpture. Je n’ai jamais imaginé être artiste en étant gamin, et je n’ai jamais imaginé vivre de la sculpture, et là j’en vis. Je suis fier d’être un artiste qui vit de son œuvre. On est en France donc c’est un peu difficile d’en parler. Dans un sens, je suis fier d’être français, car c’est un beau pays, une belle culture, sauf qu’en France toute réussite devient un pêcher.

Quand j’étais jeune sculpteur et mon copain jeune architecte, une amie nous a posé cette question : « De quoi avez-vous le plus peur ? De la réussite ou de l’échec ? ». Nous avons tous les deux répondu de la réussite. Car l’échec, on le connaît, alors qu’avec la réussite on se demande ce qui va nous tomber sur la tête… Qu’à cela ne tienne, j’aime ma vie. C’est mon expérience.

Quand on est face au doute de la création, on est tout seul, et j’adore ça. Il y a une solitude immense du sculpteur, de l’artiste ou du créateur. La sculpture est un choix permanent, on propose quelque chose et on se dit, c’est bon ou ce n’est pas bon. On est tous, avant tout, seul. Même si on est des êtres sociables, on essaye de se débrouiller et de faire quelque chose de cohérent. Apparemment, ça fonctionne quand même, on est toujours là malgré toute la construction catastrophiste des médias. Je regarde dans la rue et partout, je vois que ça ne va pas que mal.

Quand on regarde votre travail, ce sont des hommes et des femmes au corps d’athlète, vous ne sculptez jamais de personnes disgracieuses ?

Je n’en suis pas encore là, je pense que c’est parce que je crée des êtres un peu fougueux, un peu speeds, un peu énergiques, et pour moi, ça pourrait être marrant de mettre un personnage au physique complètement décalé dans une attitude qui ne lui correspond pas mais c’est pas mon truc, car je bosse dans une forme de réalisme anatomique et une espèce de mise en scène qui fait que ces corps ont tendance à bondir.

La mise en scène est-elle aussi importante que le sujet en lui-même ?

Je pense que mon travail m’a amené à cette mise en scène extrêmement simple par ces trois tiges qui font un tripode qui permettent à la sculpture de tenir debout. La recherche première était d’éviter le socle classique, le truc qui lie à la terre, qui plombe, qui sacralise, qui bloque, qui fait devenir statue. Depuis le début je me dis que le socle m’ennuie. Les premières pièces ont été sur de la corde, sur des vitres transparentes, des structures qui me permettaient d’éviter ce phénomène du socle. Et puis, un jour, sans que je comprenne pourquoi, ma main a dessiné un phénomène sur trois tiges et je me suis demandé ce que c’était car je n’avais jamais vu ça nul part, donc j’ai fait ce truc en me disant, bizarre, marrant… Et puis d’un tripode, je suis passé à un phénomène d’échasses.

Cette mise en scène est importante, car elle m’évite l’apesanteur du socle. En plus quand on l’a vu une fois, c’est reconnaissable, c’est une identité. C’est une mise en scène minimaliste, qui contraste avec la complexité du corps et qui rend le bronze céleste. On dirait qu’il s’envole ce qui est paradoxal

et puisque je suis un gros paresseux, c’est vachement simple de mettre trois tubes mais le plus important c’est que ça me permet d’offrir trois ou quatre mètres de vide.

On peut être sculpteur et paresseux ?

Oui, car pour moi, la paresse pousse à l’intelligence, c’est la loi du moindre effort. Moi, je me fixe un objectif, mais j’essaye d’en faire le moins possible. Le fainéant, ne va rien faire, mais le paresseux va trouver la solution pour en faire le moins possible pour un résultat donné. Après il y a le laborieux qui va donner le maximum de lui-même, il va essayer tous les chemins possibles pour y arriver, moi je préfère attendre pour trouver la solution qui fait que je vais y aller de la façon la plus simple et la plus efficace. Pour moi c’est ça la paresse.

Comment faites-vous pour que vos sculptures tiennent en équilibre, notamment le Funambule ?

D’abord je fais une maquette, ensuite je tends une corde pour voir si c’est envisageable, car ce n’est pas une position facile. Ce qui me plait c’est ce paradoxe. En tant que sculpteur, je suis en recherche permanente d’équilibre. On rêve tous du funambule, tous les sculpteurs l’on tenté, moi, je suis technique et j’aime les trucs qui tiennent et qui sont réalisables et techniquement irréprochables.

Un jour ma main a dessiné ça, donc je me suis dit, voilà le funambule, il s’allonge sur son fil dans une position totalement inconfortable mais qui évoque pleins de choses. En même temps, ce n’est qu’un fil et ce ne sont pas deux tiges, ce sont deux lignes, je suis passé à cette pièce qui est facilement interprétable.

Donnez-vous des noms à chacune de vos œuvres ?

Oui car il faut un nom de référence. Après il y en a qui sont un peu plus poétiques que d’autres, et d’autres qui sont seulement des références. Ilyale Serin, comme un petit oiseau sur son fil. La Fluide, qui a fait une jolie polémique…

la complexité du corps qui rend le bronze céleste

Quand j’ai installé cette pièce à Cagnes sur mer, face à la mer et embrassant l’horizon des gens m’ont dit : « Oh putain , con, elle a les tiges qui lui rentre dans le ventre ». Dans le Nice matin, il était marqué « Les barres de fer lui rentre dans le vagin, […] sodomisée par des hallebardes ». J’ai eu des coups de fil à Seyssel qui me disaient que je sodomisais mes statues avec des barres de fer. Ils ne voulaient pas voir le petit siège tripode, j’ai demandé à la municipalité s’il fallait que j’enlève la statue, mais ils n’ont pas voulu. J’ai remercié tous ces gens qui sont de bons attachés de presse, car je n’ai jamais eu autant d’articles dans toutes les expos que j’ai fait. Et aussi, le Guetteur, c’est le premier qui est paru sur trois tiges, et c’est lui qui m’a mis en phase de ce phénomène autour duquel j’ai tourné par la suite.

Vous avez la réponse de savoir à quoi ça sert ?

Ça sert à tenter d’avoir une relation avec le divin, avec l’esprit le questionnement de l’art c’est justement un questionnement permanent avec des réponses très diverses, puisque en face d’une œuvre d’art, chacun à ses réponses, l’œuvre d’art est une auberge espagnole.

Aurélie Filippetti

Aurélie Filippetti

Je ne la connais pas, car je n’ai pas la télé ! Je l’ai entendu dans une émission radio sur France Inter, elle paraît assez sympa. Je ne me sens pas trop concerné par les institutions culturelles, car les hommes nus passent mal dans ces lieux, je travaille avec le privé. Depuis la nuit des temps, les statues sont nues, mais ce nu n’est toujours pas politiquement correct aujourd’hui. Mais j’imagine que tôt ou tard, ça le deviendra. Tout est vivant, donc on passe d’un extrême à l’autre. J’espère qu’on arrive vers un extrême et que l’on va retrouver quelque chose de plus sympa.

Arman

Arman

J’adore. J’ai eu de la chance de côtoyer ce personnage pendant un an et demi, c’est un exemple artistique. Arman était quelqu’un d’une immense culture qui a mis la société en face de ses excès ou plutôt qui a utilisé intelligemment les excès de la société. C’est quelqu’un d’une très grande générosité et j’ai vraiment eu beaucoup de plaisir à bosser avec lui et ça m’a fait beaucoup avancer.

Faber

Faber

J’aime beaucoup son travail ainsi que le bonhomme, il nous met en face de nous-mêmes. Lui en tant que personnage, est dans une vérité crue qui peut faire peur mais qui est belle. Dans une de ces chansons, Léo Ferré disait « La vérité c’est dégueulasse ».

Je vous propose un hommage que l’on pourrait vous faire comme ça vous le validez maintenant et on sera tranquille le moment venu…

« Né le 2 octobre 1953, fils d’un artiste peintre, Nicolas Lavarenne est un sculpteur autodidacte. Assistant d’Arman, sculpteur et mouleur de prototypes industriels, il commence à récolter les prix du public et l’attention du monde de l’art dès 1984. Ses sculptures en suspend traversent le monde, plantent leurs échasses un peu partout, tout en restant inaccessibles. Les lignes, le mouvement, la précision du geste, la grandeur des courbes… Ses œuvres nous suggèrent un voyage, nous imposent la vision de notre propre force, figées dans le bronze, de notre propre fragilité, soulignées par l’équilibre dangereux de ses hampes plantées dans le sol. Ces êtres muets sont maintenant les derniers garants de sa mémoire. Quels secrets leur a-t-il confié ? A quelle caresses aimantes s’est-il abandonné ? Nous ne le saurons sans soute jamais. L’unique certitude reste ce sentiment d’éternel qui anime leurs traits. Et bien sûr, leur regard qui se perd dans le lointain, comme s’ils apercevaient la silhouette de leur maître, comme s’il était encore là, quelque part, perdu entre ciel et terre. »

C’est beau et ça me plait. Je vis dans mon atelier, au milieu de toutes mes pièces, je me pose un tas de questions depuis que l’art m’est tombé sur la tête. Pourquoi je me permets de faire ça avec tous les doutes qui vont avec, et quelque part, la petite histoire qui me rassure c’est celle que vous venez de me raconter. Le reste est un vertige permanent. À un moment, je m’étais fait une carte de visite, sur lequel il était marqué « Doutes et incertitudes, gros, demi-gros, détail, livraison à domicile » !

Une dernière chose que vous auriez envie de crier au monde ?

Soyez libre !

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