Sandrine Kuster

En coulisses avec Sandrine Kuster, Directrice du Théâtre Saint-Gervais à Genève.

Nous vous invitons à plonger dans les coulisses du Théâtre Saint-Gervais à Genève en compagnie de Sandrine Kuster qui dévoile son approche, ses engagements et les grandes lignes de la saison à venir, riche et pleine de découvertes.
Rencontre.

Sandrine Kuster, bonjour, c’est votre première saison à la direction du Théâtre Saint-Gervais, pouvons-nous tout d’abord revenir sur votre parcours professionnel ?

J’ai été formée comme comédienne à Genève, à l’école Serge Martin, puis j’ai ouvert le Théâtre de l’Usine avec Eveline Murenbeeld. Ensuite j’ai été programmatrice théâtre et performance au Festival de La Bâtie durant cinq éditions et j’ai rejoint l’Arsenic à Lausanne où j’ai travaillé pendant 14 ans. Je crois que cette durée est assez longue, j’ai adoré travailler là-bas, j’ai essayé de développer un maximum la structure que ce soit au niveau du suivi des artistes, de sa programmation pluridisciplinaire et contemporaine (théâtre, danse, performance). Durant cette période on a pratiquement réussi à doubler la subvention, on a fait des travaux et maintenant la ville est dotée d’un centre d’art scénique contemporain qui va durer, sur le long terme, pour les générations à venir.

J’avais l’impression d’avoir développé pas mal de projets, d’avoir bien œuvré pour la structure et j’avais envie de passer la main. Je pense qu’il ne faut pas s’installer dans les structures, il faut permettre à d’autres de s’y essayer, d’inventer des choses. J’avais aussi la crainte d’enfermer la structure dans une certaine esthétique, une certaine approche artistique.

J’avais envie d’un nouveau challenge et le Théâtre Saint-Gervais en est un. C’est une vieille maison qui, au départ, est une maison des jeunes et de la culture. Le bâtiment a donc été construit pour accueillir du théâtre, certes, mais au début il y avait principalement des ateliers (théâtre, poterie, vidéo, photo, etc.). Il a aussi eu pendant longtemps une double identité mêlant théâtre et centre pour l’image contemporaine. Au niveau du bâtiment, le challenge est de voir comment les locaux peuvent être optimisés pour se rapprocher un peu plus de l’activité théâtrale : des répétitions, des installations, de la recherche, etc.

Passion simple par Émilie Charriot © Agnès Mellon.

Dans votre édito de la plaquette de saison, vous parlez d’« approches plurielles » du théâtre, pouvez-vous nous tracer les grandes lignes dramaturgiques de la programmation ; quelle est sa couleur, son fil rouge ?

Durant des années, Philippe Macasdar a fait un travail formidable en donnant une identité à la structure sur un certain théâtre politique et il a notamment développé beaucoup de choses autour de la mémoire (blessée par les guerres, les génocides, etc.).

Je vais peut-être abandonner ou du moins contourner cela dans un premier temps pour revenir sur l’interprète, le texte, la performance pour réorienter l’activité du théâtre sur le corps à corps, le rapport au public. La configuration de la salle est ainsi faite que l’on est face à la scène avec une vue plongeante sur celle-ci. Avec cette proximité plateau/spectateurs, l’envie est de renforcer ce rapport avec une approche plurielle : du texte, de la performance, de l’écriture de plateau, etc.

On relève une forte présence de femmes parmi les spectacles proposés. La question peut paraitre simpliste mais quels mots mettriez-vous sur votre engagement envers les artistes-créatrices ?

Dans mes précédentes saisons à l’Arsenic, il y a toujours eu beaucoup de femmes mais cela n’a jamais été une volonté de ma part. Souvent, quand la saison commence à être construite et que l’on regarde la proportion homme/femme, je me rends compte qu’il y a beaucoup de femmes. Je pense que c’est peut-être inconscient de ma part ; peut-être qu’en tant que femme, je suis plus sensible ou plus à l’écoute de leurs projets. Je sais que les chemins sont plus difficiles pour les artistes-créatrices mais de les accompagner n’est pas une volonté politique. Ce seraient une dévalorisation que de dire aux femmes que l’on a choisi leur projet parce qu’elles sont des femmes. Si je choisis un projet, c’est parce qu’il y a un désir réciproque de collaboration.

Rebota rebota y en tu cara explota par Agnès Mateus et Quim Tarrida © Quim Tarrida.

Quelle Directrice êtes-vous ? Plus précisément, comment allez-vous chercher les artistes que vous programmez, de quelle manière pouvez-vous les accompagner ?

J’ai toujours essayé de faire une programmation où l’on trouve des artistes émergents et des artistes confirmés. Je prends le risque du grand écart : on a par exemple Philippe Quesne, Directeur de Nanterre-Amandiers (avec L’effet de Serge), et tout de suite après sont programmés Agnès Mateus et Quim Tarrida (avec Rebota rebota y en tu cara explota), Benny Claessens (avec Hello Useless – for W and friends), deux artistes méconnus. J’aime que les opposés se rencontrent dans une même programmation.

Je suis à l’écoute des artistes (j’essaie de l’être) et je tente de les accompagner pour qu’ils aillent au plus près de ce qu’ils désirent en mettant de côté mes goûts, mes réflexes. Il faut trouver de quelle manière lire ce que l’artiste est, ce qu’il a envie de faire et comment l’encourager à y aller le mieux possible. Il faut faire attention au regard que l’on apporte. Il arrive parfois que le/la metteur.e en scène entende plusieurs avis contradictoires et là j’évite d’intervenir, je laisse faire parce que l’artiste finira par retrouver ce qui est le plus important pour lui. Je peux aussi être coupante ou cassante, il m’est arrivé de remettre des artistes au travail.

Vous mettez en place une nouvelle politique tarifaire avec l’abonnement de saison à 100 CHF pour tout voir, est-ce un levier pour drainer de nouveaux publics, quelle est la part de prise de risques financière ?

Je sens que le public a envie de prendre le risque de la découverte, d’être fâché, d’être perdu. C’est pour cela que j’aimerais bien avoir des tarifs très bas et/ou uniques comme ce que j’avais mis en place à l’Arsenic. J’aime cette idée que tout soit au même niveau tarifaire pour stimuler la curiosité, pour que l’on vienne au théâtre de manière simple et naturelle, que la barrière du prix disparaisse.

Nous avons calculé qu’un spectateur vient en moyenne 7 ou 8 fois dans la saison (c’est déjà un spectateur assidu). Ceux qui viennent beaucoup peuvent faire un calcul entre « entrée à l’unité ou abo » et se dire « c’est le prix du risque ». D’autres venants moins souvent prendront le billet à l’unité.

Fondamentalement, j’aimerais que le théâtre soit gratuit ou tellement peu cher que l’on vienne sans réfléchir ; ce serait même mon rêve, dans une autre vie peut-être.

Quel serait le combat à mener envers les publics ?

Toutes les franges de la population ne viennent pas au théâtre. Je crois qu’il est très difficile d’intéresser tout le monde au théâtre. Ce qui est important, c’est de faire un travail au niveau des écoles, c’est là où nous avons un combat à mener. Les étudiants, les jeunes, devraient aller au moins une à deux fois au théâtre ou faire régulièrement des ateliers. On leur donne des outils et après ils en font ce qu’ils veulent, au moins ils savent que ça existe.

Le théâtre est un lieu d’apprentissage pour plein de choses : le texte, la relation à l’autre, la concentration, la prise de parole. Pédagogiquement, c’est un endroit qui peut amener beaucoup aux jeunes.

L’effet de Serge par Philippe Quesne © Pierre Grosbois.

Si l’on met de côté les trois spectacles programmés dans le cadre du Festival de La Bâtie, vous ouvrez votre saison le 21 septembre prochain. Pouvez-vous nous parler des premiers spectacles qui seront à voir ?

J’avais envie de démarrer la saison avec des solos. J’aime bien cette figure car il y a une frontalité, un danger, autant pour le public que pour l’acteur/l’actrice. La saison s’ouvre donc avec cette forme à travers des propositions toutes très différentes.

À l’Arsenic, j’ai souvent travaillé avec Philippe Quesne. C’est quelqu’un qui a une manière de faire du théâtre en dehors du répertoire, avec un travail sur la scénographie assez important, qui parle de la pratique théâtrale, tout en douceur, en retenue. L’effet de Serge – qui se joue du 21 au 23 septembre 2018 – est assez emblématique de cette poésie, cette finesse.

Pour conclure cet entretien, un questionnaire de Proust (au raccourci).
  • Votre principal trait de caractère ?

Fonceuse.

  • La qualité que vous préférez chez les autres ?

L’humour.

  • Votre principale qualité ?

La rigueur.

  • Votre rêve de bonheur ?

Des salles de spectacle pleines à craquer.

  • Quel serait votre plus grand malheur ?

Des salles vides.

  • Le pays où vous aimeriez vivre ?

La Suisse.

  • Vos auteurs et/ou auteures favoris ?

Marguerite Duras.

  • Vos héros et/ou héroïnes dans la fiction ?

Il y en a beaucoup trop, joker.

  • La faute qui vous inspire le plus d’indulgence ?

Le blanc au théâtre.

  • Vos héros et/ou héroïnes dans la vie réelle ?

Pour moi, les vrais héros et héroïnes ce sont ceux et celles qui risquent leurs vies pour sauver celles des autres. Si je devais nommer des héros, ce serait peut-être ces médecins qui vont sur des fronts de guerre, beaucoup d’anonymes.

  • Votre devise ?

Mieux vaut avoir des remords que des regrets.

Image à la Une © Isabelle Meister.

Kristina D'Agostin

Rédactrice en chef de Carnet d'Art • Journaliste culturelle • Pour m'écrire : contact@carnetdart.com

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