Thibaut Ketterer

Entre exode et vestibules.

Pour sa première exposition solo en France, à l’Espace Malraux de Chambéry, Thibaut Ketterer confronte deux de ces sujets Exode 138 (réalisé en Côté-Nord, au Québec) et Vestibules Savoyards (réalisé en Maurienne, en France). Entre intérieur et extérieur, abordant les aspects sociétaux et environnementaux, il témoigne de son temps ici et maintenant.

Quelle est la genèse de votre nouveau travail photographique, Vestibules Savoyards ?

J’ai eu un premier contact avec Marie-Pia Bureau, Directrice de l’Espace Malraux de Chambéry, qui était intéressée par la série Exode 138 afin de l’exposer durant La Chaleur des Grands Froids. Elle souhaitait que je puisse confronter le travail réalisé au Québec avec un autre qui serait réalisé en Savoie.

J’avais dans l’idée de faire un parallèle dans les Alpes françaises et notamment en Maurienne, une vallée dans laquelle j’allais plus jeune. Un endroit qui est marquant, où il existe également des fins de route – comme les cols qui sont fermés la moitié de l’année – où la vallée est « enclavée » par la neige, les conditions météorologiques.

Un des axes est la comparaison entre le Québec et la France est d’interroger la manière de vivre des gens dans des régions assez éloignées, presque coupées du monde, et qui plus est par temps de froid.

De quelle manière abordez-vous un sujet photographique ?

Quand je travaille mes sujets, j’écoute patiemment et énormément ce que les gens ont à raconter mais sans tomber dans le pur côté historique. Ce qui m’intéresse, c’est le moment présent, le moment où je suis ici, comment les gens qui sont là, vivent. Je cherche à savoir si la personne est originaire d’ici ou étrangère, si elle est là par nécessité ou par choix, si elle compte rester ou partir, et pourquoi.

J’essaie de sélectionner les portraits pour balayer le sujet, avoir un choc des cultures en quelque sorte. Dans les deux séries ont retrouve un mix culturel au travers des personnes rencontrées qui témoignent de la richesse et de la diversité des origines des habitants.

© Thibaut Ketterer.

© Thibaut Ketterer.

Comment s’est déroulé votre travail en Maurienne ?

J’ai réalisé ce documentaire en la mi-novembre et décembre 2016, à un moment où les premières neiges étaient à peine tombées sur les sommets.

Quand j’ai commencé à interviewer les habitants de la Maurienne, je me suis rendu compte que cette vallée n’était pas très enneigée par rapport à d’autres vallées où la neige arrive plus tôt.

Certaines personnes constatent qu’il y a beaucoup moins de neige que durant leur jeunesse. Il y a un gros changement climatique dans la région visible par le biais de la mémoire des anciens. C’est assez troublant de voir cette chaleur et tous les canons à neige qui fonctionnent, notamment à une période où les touristes commencent à arriver, où l’activité économique reprend.

© Thibaut Ketterer.

© Thibaut Ketterer.

Sur l’aspect climatique, quels parallèles feriez-vous entre la Savoie et la Côte-Nord ?

En Côte-Nord, j’ai pu constater qu’entre la fin mars et mai 2016, la neige n’est quasiment plus là, le Saint-Laurent n’est plus entièrement gelé, le temps est presque printanier. Il devient déjà dangereux d’emprunter l’autoroute blanche qui relie les villages, la route 138, entre entre Kegaska et Vieux-Fort car elle passe sur des lacs ou rivières qui ne sont plus assez gelés, par exemple. Ce qui est inhabituel à cette période de l’année. Les gens témoignent également de ce changement de climat visible par l’homme.

Et qu’en est-il de l’aspect environnemental ?

J’ai envie de témoigner pour montrer aux gens que le réchauffement climatique est une réalité, que les glaciers fondent alors qu’il y a de l’investissement, cela pose des questions. En Maurienne, les villages sont restés très traditionnels, le développement s’est fait autour des stations de ski dans les années 50 mais en restant familial, à taille humaine. Tout cela tend à s’agrandir en pensant que les gens pourront continuer à skier, qu’il y aura encore de la neige dans 50 ans. Cela est vraiment incertain et c’est troublant de voir des changements climatiques si rapides et brutaux en l’espace de quelques décennies.

Pour la Côte Nord, les gens sont conscients de l’écologie mais parlent moins du réchauffement climatique. Ils s’inquiètent plutôt des projets miniers, d’extraction de métaux lourds par exemple, et de l’impact que ceux-ci auront sur la pollution des eaux ou sur les conditions de vie.

© Thibaut Ketterer.

© Thibaut Ketterer.

Qu’est-ce qui vous a marqué sur le volet social ?

En Côte Nord, il y a une notion plus forte sur l’isolement total des personnes qu’en Maurienne du fait de ne pas avoir de routes. Il y a plusieurs villages qui sont totalement coupés du monde et un des seuls moyens d’accès reste la motoneige.

En Maurienne, il y a à peine 50 ans de cela, des gens vivaient encore avec leurs animaux dans des maisons (étables) traditionnelles (les maisons traditionnelles bessanaises sont enterrées dans le sol, de un à deux mètres, avec juste un mètre qui dépasse du sol). C’est assez fou de voir des gens qui vivent encore dans ces habitations, à moitié dans la pénombre.

Il y a aussi des similitudes entre les façons d’être dans les deux régions. Concernant les croyances, en Maurienne, il y a toujours cette idée que de se faire photographier enlève l’âme (pour un agriculteur qui ne voulait pas se faire prendre en photo, par exemple). Et dans les réserves autochtones, indiennes, on ne peut pas non plus photographier les gens comme cela, surtout les femmes. Il y a également des temps fédérateurs (fêtes religieuses ou fêtes du village) qui font peut être plus sens car il y a un sentiment de communauté, où l’on peut faire confiance à son voisin.

La série Vestibules savoyards apporte peut-être de nouvelles clés de lecture pour porter son regard différemment lors d’un tour en Maurienne. Il est important que des travaux sur la région soient montrés ici car au final, les gens connaissent assez mal l’endroit où ils habitent.

© Thibaut Ketterer.

© Thibaut Ketterer.

Quels sont vos projets ?

Vestibules savoyards est une série qui est amenée à continuer dans le temps. J’aimerais faire un pont entre les deux pays, emmener ce travail au Québec, tout en continuant à le faire découvrir en France et en Europe.

Je travaille aussi sur différents ouvrages en essayant de trouver le bon équilibre entre reportage et documentaire afin de pouvoir diffuser autrement mon travail.

En 2017, je vais traverser le Canada en vélo de la côte Atlantique à la côte Pacifique, soit environ 7000 km. Ce voyage en vélo, et non pas en voiture, reste dans la philosophie de réduire mon emprunte écologique. Je souhaite faire des portraits de gens de manière assez naturelle, prendre le temps et suivre un autre rythme.

Photographie à la Une © Thibaut Ketterer.

Kristina D'Agostin

Rédactrice en chef de Carnet d'Art • Journaliste culturelle • Pour m'écrire : contact@carnetdart.com

1 Comment

  • Avatar
    Répondre février 10, 2017

    gavard-perret jean-paul

    Passionnant. Et découverte.

Leave a Reply Cliquez ici pour annuler la réponse.

Répondre à gavard-perret jean-paul Annuler la réponse

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.