Culture versus Europe, sémantique de l’électrique.
Tragédie. Dévastation. Horreur. Indignation. L’annonce de la mort d’Oreste faite à Electre n’a rien de commun ou presque avec la nomination de Tibor Navracsics à la fonction de Commissaire en charge de la Culture. Si la mort d’Oreste n’était qu’artifice, la nomination de Navracsics bien qu’elle n’ait rien de virtuel mais n’en est pas moins funèbre et macabre. Bien au contraire.
En Europe, culture rime désormais avec imposture. Diversité culturelle, droits de l’Homme, liberté d’expression, autant de concepts émancipateurs bafoués par la seule désignation du Hongrois, Tibor Navracsics. Jusqu’alors Ministre de la justice dans le gouvernement du très contesté de Viktor Orban, Navracsics a été l’instigateur de réformes rétrogrades et liberticides dans un pays en proie au doute.
En Hongrie, culture n’est plus que dictature. Contraintes à présenter des œuvres « patriotiques », les institutions culturelles depuis 2010 ont renoué avec les traditions des heures sombres. Après la valse des directeurs de musées « rebelles », l’entrée en grande pompe des populistes et des moralisateurs dans les temples de la pensée unique et de la pureté des magyars. La quête nationaliste est à son apogée. Balazs Kovalik, directeur artistique de l’Opéra national fut limogé pour avoir confié à un italien la mise en scène d’un opéra hongrois. Une xénophobie avérée. Tout cela à la barbe du parlement, comme Clytemnestre à celle d’Agamemnon.
Promesse d’une chevauchée idyllique en quête d’un dialogue entre les peuples d’un même continent, l’Europe a comme été foudroyée en plein vol. Un mauvais rêve. Un cauchemar même. Car Tibor Navracsics n’est pas seulement le Commissaire en charge de la Culture. Il lui revient également d’agir en matière d’éducation, de jeunesse et de citoyenneté.
Education, jeunesse, citoyenneté, culture. Jeunesse, Citoyenneté, Culture, Education. Citoyenneté, culture, Education, jeunesse. Culture, éducation, jeunesse, citoyenneté. Et vice-versa. « Education, Culture, Jeunesse et Citoyenneté », c’est la désignation consacrée. L’essentiel, c’est qu’il s’agit a priori d’un tout.
Pourtant, nombreux sont tombés – inconsciemment dirons-nous – dans l’écueil de l’isolement, de la spécificité, du rempart à l’autre, dans le but de protéger son dernier pré carré. L’artiste engagé présume de la légitimité de sa renommée, sans se mêler complètement à l’indignation collective, exprimée notamment depuis la Hongrie, avec pour chef de file Vay Márton.
Octobre – Opprobre.
L’émoi d’octobre n’a pas suffi au parlement pour jeter l’opprobre. Pour dissiper la défiance et le discrédit, Tibor Navracsics s’est repenti. Lui aussi a changé. En fait, non, il n’a pas changé. Finie l’oppression, il pourra enfin se montrer sous un jour meilleur. En même temps, des ONG à l’origine de la contestation à Budapest font discrètement l’objet de pressions : ordinateurs saisis, menace de radiation et garde-à-vue en série… Le scénario s’apparente à un sinistre déjà vu. Comme une bonne série B, peu original mais ça marche !
Se rangeant derrière la peur du pire, les députés européens adoubaient le 22 octobre dernier le prétendant à la Culture… Il en fallu moins à la protestation d’artistes européens renommés livrée sous la houlette de Bernard Foccroulle n’a été publiée que deux jours auparavant. Bagatelle ! Et que l’on se rassure, il ne revient à Navracsics que les portefeuilles de l’éducation, la jeunesse et de la … culture. Citoyenneté épargnée. Quelle superficialité ! Le symbole est de mise.
La mort d’Oreste n’était que tromperie. Présage d’une soif de revanche. Qu’il en soit ainsi. La nomination de Navracsics est actée. Sa démission relève du monde des Idées. Réalisable mais hypothétique. L’Europe de nos jours peut être dupée à l’image de l’Electre de Sophocle. L’Europe des artistes se pourrait être bien ingénue, telle l’Elektra ressuscitée par Foccroulle. Dans le ciel, les étoiles dans nos yeux décimées, comme par électricité.