Tichèlbè – Sans Repères – Figninto – L’Œil troué

Écho des générations.

Trois pièces réunies, Tichèlbè, Sans Repères et Figninto – L’Œil troué, pour un programme qui met à l’honneur la danse comme patrimoine artistique de l’Afrique. Ces propositions ont pour point commun d’avoir été montrées pour la première fois il y a quinze voire vingt ans.
Elles ont été remontées lors de la dernière édition de Danse l’Afrique danse à Ouagadougou et sont présentées à la 71ème édition du Festival d’Avignon (dans le cadre du focus Afrique subsaharienne). Créant un pont entre les générations, elles interrogent tour à tour la place de la femme, les pressions familiales, la condition de l’homme, de l’amitié et du temps qui passe.

Tichèlbè.

C’est la pièce de Ketty Noël, conçue pour deux interprètes, qui ouvre ce programme. Au côté d’Ibrahima Camara, c’est pour la première fois qu’Oumaïma Manaï prend le rôle féminin auparavant assuré par la chorégraphe.

Quelques tôles à l’aspect rouillé sont déposées sur le plateau et constituent le décor qui nous plonge dans un de ces quartiers que l’on peut imaginer assez pauvre. Une jeune femme fait quelques allers-retours derrière une des tôles en revêtant à chaque fois un nouveau soutien gorge. On la devine peu assurée, presque gênée de montrer son corps qu’elle semble elle-même être en train de découvrir. Prenant de l’assurance, elle s’aventure toujours plus loin et croise le chemin d’un homme. Cet homme est plus brusque dans ses mouvements et il s’affirme de plus en plus dans la rencontre, prenant petit à petit le pas sur la femme. Devenue objet de convoitise, elle cherche alors à cacher sa féminité, rasant les murs, comme pour se protéger d’un mâle grand, beau et fort, à l’état sauvage dans ses mouvements. Dans ce duo où la simple séduction innocente devient répulsion de l’autre, tout bascule au moment où la femme reprend le dessus sur l’homme et le frappe. Il s’enfuit et on la découvre alors avec une assurance plus affirmée.

Tichèlbè a pour force d’interroger les rapports de domination et de soumission entre les hommes et les femmes, le pouvoir du masculin sur le féminin dans un contexte où il devient nécessaire de prêter attention aux droits des femmes afin qu’ils n’entrent pas dans une phase de régression.

Sans Repères.

Sans Repères © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon.

Avec Sans Repères, Nadia Beugré et Nina Kipré rendent hommage à la chorégraphe Béatrice Kombé-Gnapa disparue en 2007 et fondatrice de la compagnie Tché-Tché signifiant l’aigle en bété. Sans Repères est conçu comme un hymne à la solidarité féminine dans une société patriarcale où les pressions exercées par la famille sont de tout ordre.

Tout débute par un travail d’ombre chinoise, comme pour dire qu’une menace visible mais indicible est en train de grandir. Puis une main sur la bouche de l’autre, comme pour signifier que non, tu n’as pas le droit à la parole. On entend un cri de femme, des pleurs d’enfants, et les quatre interprètes féminines nous emmènent dès lors dans leur univers fait de non-dits, de choses convenues mais qui sont en train de se libérer, comme dans une quête affirmée d’identité et de nouvelles valeurs. Évoluant en quatuor ou par binôme, elles déploient une énergie folle que l’on partage volontiers avec elles.

C’est ici l’expression au travers des corps qui est sublimée, faisant une nouvelle fois de la danse un langage universel qui n’a pas besoin de mots pour exprimer les maux de nos sociétés.

Figninto – L’Œil troué.

Figninto – L’Œil troué © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon.

Pour conclure ce programme, Figninto (l’aveugle en bambara) est proposé par Seydou Boro et Salia Sanou. À l’origine créée en réaction face à la perte d’un proche, cette pièce s’atèle à redonner corps à l’absence.

Pris dans la lumière, les trois interprètes masculins évoluent de manière indépendante dans une énergie qui leur est propre. Progressivement, ils deviennent aveugles aux mouvements puissants de l’autre comme s’ils ne semblaient plus possible de pouvoir échanger entre eux. De leur propre espace, ils ne tarderont pas à se retrouver et comme semblant retrouver la vue et le ressenti de la présence de l’autre, c’est alors la notion du temps qui passe qui est interrogée. Matérialisé par du sable, d’abord réparti en deux tas distincts sur le plateau, celui-ci est disséminé par l’un des danseurs comme pour tracer un chemin temporel qu’il faut reprendre. Par la suite, un autre des interprètes déversent un vase rempli de sable sur un des hommes donnant à Figninto – L’Œil troué une magnifique esthétique finale.

Initié par une histoire d’amitié, Figninto se révèle d’une poésie sensible où le temps qui passe peut aussi bien séparer les hommes, mais avant tout les rapprocher  dans un questionnement à la mémoire.

Photographie à la Une Tichèlbè © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon.

Kristina D'Agostin

Rédactrice en chef de Carnet d'Art • Journaliste culturelle • Pour m'écrire : contact@carnetdart.com

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