La militante.
Femme de tous les combats, elle est de celles qui se battent pour l’idée d’un monde meilleur. Attachée au dialogue entre les cultures, elle développe un centre d’art au cœur d’Alger pour capter les fleurs sauvages en train de naitre.
Quel regard portez-vous sur la condition des femmes ?
Je ne pensais pas que l’on irait si loin, comme cette femme en Iran qui a été mise en prison avec pour motif d’accusation, le féminisme. D’une certaine manière, cela reconnaît l’existence du féminisme dans l’échiquier politique ; je l’ai toujours revendiqué comme une vraie pensée politique. En même temps, cela montre combien la guerre est ouverte envers les femmes. C’est quelque chose d’assez étonnant parce que Daesh nous semble monstrueux, et il l’est, mais il est aussi l’aboutissement d’un processus dans certaines régions du monde considérant les femmes en bout d’analyse.
Quand je parlais de la prostitution en Europe, les gens avaient tendance à croire que c’était quelque chose d’exceptionnel, qui n’avait rien à voir avec la société européenne. Les gens bien-pensants ne se sentaient pas du tout concernés. Or quand on comprend bien les choses, il y a un continuum. Cela peut débuter dans les maisons et on peut tirer le fil jusqu’au bordel, sans problème, il n’y a pas de rupture. La manière dont on conçoit les femmes, dont on pense le rapport entre les hommes et les femmes, tout commence là.
La violence est-elle culturelle ?
Quand on voit une femme battue, on a tendance à dire que ce sont des sauvages qui font cela. Mais on peut le repérer très tôt dans les mœurs parce que la violence, le mot même, est rattaché à la culture. La définition de quelque chose de violent part plus du ressenti d’une personne, de ce qu’elle voit. Personnellement, je trouve des choses très violentes autour de moi alors qu’elles peuvent être jugées comme normales par d’autres. La loi qui ne reconnaît pas une égalité entre les hommes et les femmes inscrit une image peut-être symbolique mais très forte de la violence.
J’ai énormément écrit sur les femmes mais je trouve que les artistes ont plus de choses à dire sur elles ; en prenant le corps comme sujet, c’est plus fort. Quand vous écrivez, vous êtes dans la rationalité de l’écriture, de l’analyse, alors qu’un artiste a une part qui relève de l’instinctif, de la sensibilité. Il y a toujours cette possibilité de découvrir ce qui ne peut se dire avec les mots.
Pourquoi avoir créé un centre d’art à Alger ?
J’ai trouvé ce lieu et j’ai pensé qu’il devait être mis à la disposition d’artistes afin qu’ils puissent avoir un endroit où travailler. L’Algérie a longtemps été un pays où l’État s’occupait de tout, de la culture notamment. Aujourd’hui, il y a des initiatives portées par la société civile. Ce qui est entrepris a pour vocation de participer à un frémissement que l’on sent dans la ville d’Alger, un frémissement vers plus de liberté créative, avec un humus assez populaire. Ces mouvements sont pris en charge par une jeunesse qui n’a aucun héritage de la culture française contrairement à ma génération.
Ce lieu est-il empreint d’histoire ?
Avec l’architecte, nous avons tenu à mettre en lumière cet espace. C’est un grand immeuble des années cinquante situé au centre de la ville. Je l’ai compris après, mais dans cette volonté de mettre à nu les structures, j’ai découvert une réponse, une tentative de mener à bien une enquête sur cette ville d’Alger qui a été construite par les Français et que nous avons occupée d’une certaine manière. Nous avons hérité d’un important patrimoine immobilier que les Algérois n’aiment pas puisque la ville est un peu abandonnée, mal-aimée.
Les structures sont faites avec des poutres qui ont été fabriquées, à partir de minerais provenant d’Algérie, dans les mêmes forges dont sont sortis les éléments de la Tour Eiffel. Dans ce lieu, nous avons trouvé des trésors sur le plan esthétique. Nous avons gardé la mémoire de cette ancienne friche avec des escaliers ou du carrelage… ce sont des fantômes.
Comment se passe la médiation entre les artistes et la population ?
Alors que le centre était en chantier, j’ai reçu des photographies sur lesquelles les décors des gravats me renvoyaient aux scènes de guerre. Les travaux furent arrêtés et j’ai demandé à cinq artistes de s’investir pour créer des œuvres à l’intérieur de ce paysage de désastre. Nous voulions montrer que l’art et la culture sont plus forts que les destructions. Ce fut un travail en abyme car toutes les traces matérielles des œuvres ont été effacées pour que le chantier puisse reprendre ; le public n’a pu les voir qu’une journée seulement mais il s’en souvient encore d’une façon intense, il a pu prendre conscience de la force de l’art. Au fur et à mesure les Algérois assistent à la mise en place du centre d’art, c’est une manière de rapprocher ce projet de la population à qui il est destiné.
Pourquoi avoir choisi ce nom, Les Ateliers Sauvages ?
J’ai appelé ce lieu Les Ateliers Sauvages car dans sauvage il y a quelque chose qui vient du surgissement, de l’inattendu. Dans ce mouvement de renaissance que l’on ressent à Alger, nous essayons de capter des fleurs sauvages qui sont en train de naître sur une société qui a été traumatisée par des guerres et qui continue à l’être par un régime qui ne fait rien pour la liberté des femmes et des hommes. La grande ruine, la grande catastrophe de la guerre civile est beaucoup plus traumatisante qu’une guerre contre un ennemi extérieur. Il faut multiplier ces fleurs sauvages dans les ruines dans lesquelles nous vivons ; des ruines des utopies qui sont nées pendant la guerre de libération. De là nous tentons de faire de la beauté.
Quelle serait votre définition de la beauté ?
La beauté c’est mettre des mots, des images, des sons sur la douleur ou le désastre. Au fond, la beauté est ce qui nous sort du drame et qui nous permet de construire un objet culturel. Transférer un traumatisme, une blessure sur le volet de la culture, au travers de la beauté plastique ou musicale, nous permet de sortir de la sidération. Il est impossible de réfléchir devant un objet cru, une image prise sur le vif. Je crois en la recherche de la beauté qui existe derrière tout geste artistique.
Le geste artistique est-il le seul à capter la réalité du monde ?
Le fait, l’évènement ou le sujet de la violence quotidienne ne font pas réfléchir, on oublie ; ce n’est pas quelque chose qui trouble quand il est perçu de manière trop frontale. Il est beaucoup plus intéressant d’être devant des objets où vous vous posez des questions. Au fond, on ne sait pas ce qu’a voulu dire l’artiste et donc quand on voit certaines scènes, il est intéressant de jeter un coup d’œil sur la réalité des choses. Les artistes effacent les traces matérielles des œuvres nées de longs jours passés dans le secret de la création et la passion de la réalisation dans un immense don de soi. L’art est sans doute l’un des meilleurs médiateurs avec un évènement traumatisant comme une guerre. D’après ce que l’on observe, le travail sur la mémoire des évènements de guerre se fait sur quarante ans. Il faut du temps pour que les consciences se réveillent. En général les enfants adoptent la position des parents, et ce sont les petits-enfants qui ouvrent ces chemins de la mémoire.
Est-ce que les peuples ont besoin de mythes ?
Quand un évènement est iconographié, qu’il devient mythe ou symbole, la réalité des choses continue de faire souffrir. Les mythes ne servent à rien pour guérir les gens et les consciences. Le mythe de la révolution algérienne n’aide pas les descendants des traumatisés de la guerre d’Algérie. La violence de la guerre de résistance est un peu prise en charge par la population, plus que celle de la révolution qui est devenue un grand mythe. On parle peu de ce qu’il s’est passé, une partie reste dans l’ombre. Il y a des moments dans l’histoire d’un peuple où la création de mythe est nécessaire mais il faut savoir comment s’en sortir pour rejoindre la réalité. C’est là tout le travail de l’histoire et des historiens qui, aujourd’hui en Algérie, rencontrent beaucoup d’obstacles car il s’agit d’une question politique. La guerre est encore l’une des formes de légitimité du pouvoir actuel. Il faut attendre, il faut des changements politiques pour que les choses bougent.
Aujourd’hui, il est intéressant de voir que c’est la révolte qui se démarque dans l’art. Ce que l’on retient de l’art, c’est ce qu’il nous dit de la période. L’art dit toujours quelque chose de la société dans laquelle il se développe. Un artiste est quelqu’un qui est au cœur de la crise et du mouvement, en plein dans son siècle. Les Ateliers Sauvages ont pour vocation d’être dans le temps et dans l’époque, être là et parler.
Photographie à la Une, Wassyla Tamzali © Hejer Charf.
Pierre Montmory
HUMAINE DESTINÉE
Nous serons plus nombreux que les roses sauvages
Chargées d’épines durcies au feu des étés
Nous serons l’aubépine surprenant les bergers
Tandis que le noir du ciel entasse les orages
Nous serons plus nombreux que les nuages
Poussés par les vents qui transportent nos messages
Nous chanterons dans nos têtes aux murs du silence
Les litanies muettes qui ont mérité les potences
Nous serons gorge sèche dans les sillons du sable
Pour semer graines de colère et larmes de sang
Et nos jeunesses en lambeaux se traînant
Balanceront leurs rires rouillés à l’ineffable
Terre rendue à l’acier plombant les murs
Nous ne pouvons plus même un murmure
Et la force des lâches nous oppresse
Nous n’avons que la vie pour seule maîtresse
Alors en un bouquet fraternel nous nous offrons
Pour vaincre l’injuste sort fait à Cupidon
Pour réparer l’offense à la beauté de Ninon
Nous marchons solitaires sous le même nom
Nous sommes la somme de nos chemins humains
Plus nombreux que les roses et autant que les fleurs
À veiller pour le lendemain, vaillants de cœur,
À battre le blé des récoltes de nos deux mains
Nous serons plus nombreux que les roses sauvages
Chargées d’épines durcies au feu des étés
Nous serons l’aubépine surprenant les bergers
Tandis que le noir du ciel entasse les orages
Pierre Marcel Montmory
Pierre Montmory
DIHYA
Le vent dans son voile dénude ses rêves
Sa marche pressée est une fuite en avant
Car jamais sur cette Terre il n’y a de trêve
Jamais l’Arche ne délivre son désir d’enfant
La mer épique roule ses hanches d’écume
Dihya chante en elle pour ne pas pleurer
Les ruines où son cœur dormant est enterré
Dans les cendres chaudes des nuits d’amertume
Le souffle d’Éole la porte sur son aile
Je voudrais mais ne peux marcher avec elle
Sur le sol de mes étés je gémis blessé
Mes gardiens ont le visage noir fumée
L’eau salée de toutes les larmes de pluie
Laveront-elles toutes les blessures du jour
Dans le ciel rouge les étoiles brillent pour
La fin des fins blêmes tout au fond de la nuit
Dihya courbée sur sa marche franchit l’horizon
Le vent dans son voile lui chante une chanson
Berceuse pour celles qui sont déjà veuves
Et de guerre et de terribles épreuves
Le vent dans son voile dénude ses rêves
Sa marche pressée est une fuite en avant
Car jamais sur cette Terre il n’y a de trêve
Jamais l’Arche ne délivre son désir d’enfant
Pierre Marcel Montmory
Pierre Montmory
OASIS
Pour faire de votre jardin un Éden,
Cultiver l’humain comme une fleur d’aubaine.
Si tu es un oiseau, oublie mon poème.
Mon oasis, la culture humaine.
Chez moi, le calme d’un monastère
Sans un dieu à la poigne austère,
Accueille les éternels émigrants,
Prend bien soin de tous les enfants.
Si tu es un oiseau, oublie mon poème.
Mon oasis, la culture humaine.
Du pain, de l’eau et du silence,
Valent plus que toute science
Et tous poètes fabriquent la joie
Des tourments des profonds émois.
Si tu es un oiseau, oublie mon poème.
Mon oasis, la culture humaine.
Je sais je suis violent
Et pour pénitence
Prêche la non-violence
À mes gestes d’enfant
Si tu es un oiseau, oublie mon poème.
Mon oasis, la culture humaine.
Des égarés me demandent ce qu’ils sont
Je leur dis que s’ils cherchent à être
Ils ne pourront plus qu’ils ne sont
Déjà des humains pour paraître
Si tu es un oiseau, oublie mon poème.
Mon oasis, la culture humaine.
Des perdus demandent pardon
Avec leur tête frappent les pierres
Mais qu’est-ce que nous avons
Notre vie pour seul mystère
Si tu es un oiseau, oublie mon poème.
Mon oasis, la culture humaine.
Pierre Marcel Montmory